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Manifeste une nouvelle manière de développer EVRY

MANIFESTE_________________________

Présentation de la ville

Evry n’est pas née en 1965, avec la Ville nouvelle.  Son histoire remonte au site antique d’Eburiacos.  Depuis cette époque, la ville a porté plusieurs noms différents jusqu’en 1326, où elle devint Evry sur Seine. Une histoire riche et singulière que l’on peut observer à travers son patrimoine.

La Ville nouvelle fut une aventure urbaine… Le 20 mai 1965, la création de la Ville Nouvelle est décidée pour « désengorger » Paris et offrir aux habitants des équipements publics et des emplois proches, afin d’éviter les « banlieues dortoirs ». Tous ces quartiers et parcs ont été érigés de toutes pièces, ainsi les habitants sont en demande de patrimoine, un patrimoine d’avant la ville nouvelle qui permette de poser des bases à cette histoire contemporaine. C’est seulement la prochaine génération qui pourra d’identifier à la ville nouvelle, s’approprier son histoire.

En 1982, Evry se dote d’une université, volontairement en centre ville. Le quartier du Canal en 1986 termine l’urbanisation de la ville nouvelle, mais il a depuis été rattaché à Courcouronnes. Evry était au départ une bourgade au bord de la seine et verdoyante. Au tournant des années 70, elle s’est étendue au-delà de la nationale 7 et devenue une ville nouvelle. Elle s’est dotée de nombreux équipements culturels et sportifs (théâtres, multiplex, patinoire, médiathèque, clubs) d’un grand centre commercial puis de nombreuses administrations, entreprises de recherche (agence spatial) instituts universitaires et logements sociaux pour devenir la préfecture de l’Essonne.

EVRY ET LE GRAND PARIS

Evry fonctionne directement avec Paris mais difficilement à cause de plusieurs problèmes : la mobilité et la saturation des réseaux de transport individuels et collectifs, la dépense énergétique y étant associée, le conflit des cultures entre parisiens et banlieusards. Pour aller à Paris à partir d’Evry il y a deux options soit par l’autoroute A6 soit par le RER D avec les inconvénients que tout le monde connait (pas du tout pratique la nuit et saturé aux heures de pointe) mais restant le moyen le plus utilisé. La saturation piétonne des gares comme Châtelet, Saint Lazare et Montparnasse sont liées à cette saturation des réseaux de transports vers la banlieue. Evry est une ville nouvelle mais aussi une ville étudiante internationale. Elle contient aussi trois des cités les plus sensibles de la région ile de France. Pour faire la fête la nuit les jeunes n’ont pas d’autre choix que de se rendre sur Paris. Sur place à Evry, à partir de 23h, plus aucun commerce ou restaurant n’est ouvert. Ainsi, les habitants tentent de fuir leurs lieux de vie, ce qui entraîne un manque de construction sociale collective. Aujourd’hui on peut dire que les habitants restent dans ces quartiers par faute de moyen. Si un d’entre eux commence à s’en sortir économiquement il quitte aussitôt le quartier pour s’installer ailleurs.

Le Grand Paris devrait se faire dans un premier temps par une compréhension des enjeux d’une vie de proximité. Quel rôle joue la proximité spatiale et culturelle entre les différents habitants souvent immigrés et ayant chacun une culture propre (différentes origines, religions, époque d’immigration, etc.)? Il faut relier les villes par des proximités temporelles et spatiales mais aussi culturelles. En opposition au grand Paris des grandes distances, ce que je vais proposer est une autre façon de voir ces villes nouvelles mais sans Paris c’est-à-dire voir comment faire fonctionner les quartiers de banlieue entre eux avant de faire évoluer la ville vers Paris.

Pour réaliser mon projet  je prendrais comme référence le projet de la Berge de Paris qui fait polémique actuellement, c’est le projet du Maire de Paris. Concrètement ce projet consiste : Rive droite, il s’agit d’abaisser la circulation automobile et offrir ainsi des espaces sécurisés aux autres modes de déplacements. Rive gauche il est question de libérer de l’espace au profit des piétons et cycliste. Afin de développer des usages variés entre le pont de Solferino et le pont de l’Alma, en fermant au trafic automobile les 2,5 km de voie rapide. Le travail qui m’intéresse dans ce projet et celui effectuer au niveau du pont d’Alexandre III, avec lequel mon projet sera connecté dans le futur. Création des grandes marches pour contempler la Seine avec des services tout au long de la promenade, ouverture d’un bateau café au niveau du pont d’Alexandre III.

PROJET

Il faut remettre en valeur la pratique culturelle des quartiers et des ses environs. Pour cela, la population d’Evry devrait pouvoir se rencontrer en n’importe quel lieu de la ville en moins de 20 minutes par tous les transports possibles. Il faut tout d’abord donner à vivre une accessibilité et des transports de haute qualité correspondant aux modes de vie des habitants. Mais cela n’est possible à long terme seulement si nous pouvons offrir à Evry des services, des commerces et des moyens adaptés à cette nouvelle population des quartiers.

La ville nouvelle d’Evry s’est inventé une spatialité contemporaine, s’éloignant de la Seine et de son ancienne urbanisation. Chaque quartier a été conçu de façon individuelle et fonctionne presque en autonomie d’ou les problèmes entre jeune de cité auxquels nous assistons aujourd’hui. La ville cherche à travers l’élaboration de son PLU  à retrouver une centralité et des communications entre les quartiers- des liens entre quartiers neufs mais aussi entre jeunes et anciens quartiers. Jusqu’ici il n’y avait pas vraiment de centre ville, il est en train d’être remodelé autour de la place de la cathédrale.

Dans mon projet, Evry est un model expérimental de développement qui ensuite se généralise au tronçon de seine Juvisy-Evry-Mélun. Il s’agit de faire une lecture locale d’Evry  et de ces fonctionnements sociaux incluant une étude des habitudes et des envies des habitants (par exemple comme à Paris on fait la         ¨ tournée des bars¨, à Evry on fera la ¨ tournée des kiosques¨ etc.). Il s’agit là de revaloriser la berge de la seine qui aujourd’hui est délaissé, en réalisant un parc et des activistes qui vont attirer la population et crée aussi tout long du avenue du Générale Patton jusqu’au niveau de la place de la cathédrale des kiosques ouvert toute la nuit, comme cella se fait actuellement sur les parkings des cités.

Si on compare les quartiers du grand Paris et les ethnies maliennes, je fais comme constat qu’au Mali des communautés bien délimitées partagent facilement leurs territoires alors que les quartiers comme à Evry sont fermés. Les communautés vivent très mal le partage de leurs territoires. Sur la carte d’Evry on remarque que  le centre commercial Evry2, la gare et la cathédrale se trouve au milieu des trois cités, les Pyramides, le Canal et les Aunettes. On assiste à des bagarres a chaque fois que des jeunes se rencontrent dans le centre ou à la gare. D’où mon projet de développement des services sociaux, commerciaux et d’accessibilité de quartier.

Destination oubliés

Manifeste Paridéfense Victor

manifeste shéerazade

manifeste pour le développement en réseau du patrimoine ultra-contemporain/du vide en ile de France

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Rendu intermédiaire: du point de ravitaillement au point de ralliement nocturne.

Tatienne LAPLANCHE

Manifeste: Le pas de côté / Situation: La N20, quand le strip prend de l’épaisseur

A3 Synthèse 1: La N20 en projet ?

Scenarii: De l’objet posé à l’objet inscrit dans un territoire vivant / Projet: Requalification en strip de la N20

A3 synthèse 2: Quand le point de ralliement se met en projet, la N20 par en (S)trip

Manifeste – un chevauchement temporel et spatial pour une métropole mieux connectée

La nuit.
C‘est quand, la nuit? – C‘est la période du jour où il n‘y a pas de soleil.
Voici une explication pour les enfants :

Toi non plus, tu ne fais pas les mêmes activités pendant la journée et pendant la nuit ! Dans le ciel, ce qui fait la différence entre ces deux moments d‘un même jour, c‘est la lumière du Soleil (même s‘il est caché par les nuages) !

Alors, la nuit, de quel jour fait-elle partie?
Si l‘on parle de la durée d‘un jour, on ne considère pas que „la partie claire“, soit le moment éclairé par la lumière du jour, appartienne seulement à un seul jour. Au contraire, regardant la nuit, ça se discute. Moitié-moitié?

Qu‘est-ce que la nuit a à voir avec le changement de deux jours?

Un jour calendaire consiste en un jour et une nuit, clair et sombre, enfin sombre-clair-sombre. Le date change en pleine nuit, précisément à minuit.
Mais le jour, a-t-il déjà fini alors?

L‘homme le perçoit différemment.
Cette phrase est familière: « A chaque fois que le Soleil se lève, c‘est un nouveau jour qui commence. »
Schéma: clair-sombre.
On entend souvent – surtout par des jeunes qui ont fait la fête jusqu‘à l‘aube: «Demain commencera après que j‘ai dormi! » ou « À demain! – Mais on est déjà demain. »
Schéma: clair-sombre-clair.
Pour les gens qui commencent à travailler tôt et qui se lèvent avant le lever du soleil le schéma est sombre-clair-sombre. Pour le travail de nuit , il peut même être sombre-clair, parce que les travailleurs se couchent avant le coucher du soleil.
Il n‘y a donc pas de moment fixe pour le début du jour qui est le même pour tout le monde.
Les jours se chevauchent.

Chevauchement, définition d‘après Larousse:
– « État de deux choses dont l‘une se superpose en partie à l‘autre. »
– « Expansion empiétement sur un autre domaine »

En mathématique le terme dans la théorie des ensembles pour le chevauchement est intersection des ensembles.
« L‘ensemble qui contient tous les éléments qui appartiennent à la fois à A et à B.»

La nuit, est-elle l‘intersection de deux jours?

Pour définir le chevauchement j‘ai analysé en premier lieu les attitudes et le ressenti des gens.
Sur un site, ce n‘est pas seulement l‘environnement physique qui importe, mais également la structure temporelle.

Dans son livre « What time is this place » Kevin Lynch définit différentes dimensions d‘une structure de temps.
a) its grain, or the size and precision of the chunks into which it is divided ;
b) its period, or the length of time within events recur ;
c) its amplitude, or the degree of change within a cycle ;
d)its rate, or the speed with which changes occur ;
e) its synchronization, or the degree to which the cycles and changes are in phase, or begin and end together ;
f) its regularity, or the degree to which the preceding characteristics themselves remain stable and unchanging
g) (in the human case and more subjectively) its orientation, or the degree to which attention is focused on past, present, or future.¹

D‘après Lynch, c‘est surtout la synchronicité qui pose des difficultés pour les gens. Il est certes agréable de faire quelque chose ensemble (danser, faire de la musique, célébrer des cérémonies) mais quand il s‘agit des besoins personnels comme manger, se lever et se reposer, les besoins ne correspondent que rarement au temps donné de l‘extérieur. Par contre, si tout le monde vivait en suivant son horloge interne, ce serait le chaos.
« Social coordination depends on synchronization, and without some determinate timing individual behavior is disorientated as well. »¹

La synchronicité des groupes est la base des déroulements et des données de notre environnement. Car, en général, les gens peuvent être réunis en groupes en fonction de leurs préférences de temps.
« For each time preference exists a sufficiently large group with whom one can synchronize one‘s own behavior.»¹
On devrait pouvoir créer un système pour que les gens du matin puissent exister à coté des gens du soir et de nuit et pour que chacun puisse changer les côtés quand il veut.
Les gens qui travaillent la nuit sont en fait, même aujourd‘hui, pour la plupart défavorisés. Leur rythme, opposé au rythme de la majorité, est une charge biologique et sociale. On pourrait changer cette attitude si les mêmes activités et services étaient accessibles pour les travailleurs de nuit et de jour.
On peut voir donc cet aspect du chevauchement dans la synchronicité des besoins et des déroulements.
Si on changeait la structure du temps, cela aurait dans la plupart des cas des conséquences spatiales.
Le temps et l‘espace sont directement liés.
« The timing of an action or physical intervention has as much to do with the good functioning and style of a place as does the location of that action or intervention. »¹

Pour cette raison il faut également considérer que la nuit influence le chevauchement des espaces.

La plupart des gens sont dans leurs maisons, appartements, logements pendant la nuit et dorment. Mais où sont les autres et que font-ils?
Je m’intéresse au gens qui demeurent « dehors », dans l’espace public la nuit. Soit dans la rue, soit dans les moyens de transport public, soit dans les gares, les arrêts de bus ou les aéroports.
De quelle manière l‘espace public de nuit diffère-t-il de l‘espace public du jour?
N‘est-ce pas la nuit, lorsqu‘une majorité est dans son espace privé, qu‘il y a plus de surface à disposition?
Une rue peut-elle devenir une place la nuit ?
Les règles pour l‘espace public du jour s‘appliquent-elles aussi à la nuit ?

« Dans l’espace urbain […], il se passe toujours quelque chose. Le vide, le néant d’action ne peuvent être qu’apparents ; la neutralité n’est qu’un cas limite ; le vide (une place) attire ; il a ce sens et cette fin. Virtuellement, n’importe quoi peut se passer n’importe où. Ici ou là, une foule peut se rassembler, des objets s’amonceler, une fête se déployer, un événement survenir, terrifiant ou agréable. D’où le caractère fascinant de l’espace urbain : la centralité toujours possible.» ²

« L‘espace public existe par l‘événement qui réunit une collectivité, par la surprise qui renouvelle la relation entre citoyen et ville. » ³

Peut-on utiliser la surface qui est devenue libre la nuit ?
Peut-on donner sens aux surfaces qui sont résiduelles le jour ?
Il faut trouver des fonctions de nuit pour les surfaces résiduelles du jour pour leur donner sens.
Les surfaces résiduelles se forment où il y a des zones qui ne chevauchent ou qui ne se touchent pas directement.

Il ne s‘agit pas seulement de l’utilisation des espaces résiduels mais également du franchissement des obstacles. Les infrastructures, comme les rues et les voies ferrées, sont certes d‘abord des éléments connecteurs mais en même temps d‘un autre point de vue des obstacles infranchissables.

Parfois, les zones peuvent aussi être des obstacles.Il faut les détourner parce qu‘ils sont infranchissable le jour. Pourtant ça peut devenir obsolète la nuit. Des raccourcis surgissent et quelques surfaces prennent de nouvel ampleur.

Je suis convaincue que la nuit est une chance pour ces surfaces, chevauchant d‘autres zones, elles forment des éléments conjugués et agissent ainsi comme connecteurs des ensembles isolés.

                                      Les ensembles A et B ont rien en commun.

En dessinant d‘un nouveau ensemble C, qui intersecte les ensembles A et B, résulte une convergence.

En installant des actions temporelles, comme Raumlabor Berlin5 l‘a fait avec le « Kitchen Monument », on peut trouver des centralités dans une région. On aperçoit quels gens on y attire, quels points et quels noeuds sont importants et lesquels faut accentuer (aussi le jour).
Cette étude est indispensable au développement de la région de l‘aéroport d‘Orly vers une cité aéroportuaire.
Un réseau qui fonctionne bien améliore d‘abord la vie pour ses habitants et pour les entreprises qui se sont établis dans l‘environnement bien viabilisé en ce qui concerne la circulation. Une tel réseau attire également de nouvelles industries et de nouveaux habitants.

¹ Kevin Lynch, What time is this place?, Cambridge, MIT press, 1972
² Henri Lefebvre, La révolution urbaine, Paris, Gallimard, 1970
³ Marc Armengaud, Espaces invisibles (publics), in Voies Publiques, Pavillon de l’Arsenal / Picard éditions, 2006
4 La ville poreuse, Studio09-Bernardo Secchi et Paola Vigano
5 Raumlabor Berlin, Kitchen Monument/BangBang

Franziska Dorner

 

MANIFESTE: [ARCHIPEL RESISTANT]

00_ Plans pour la Ville Abdiquée

Pour débuter, un paradoxe Koolhaassien : « Comment expliquer […] que l’urbanisme en tant que profession disparaît au moment où […] l’urbanisation est en train de consacrer partout le ‘triomphe’ définitif et mondial de la condition urbaine ? »[1].
En d’autres mots, ce serait à l’heure où la ville se construit le plus massivement, quelle semble le plus s’évader des domaines du contrôlable, du prévisible et du planifiable.
Et Djamel Klouche de renchérir : « La métropole n’est plus un lieu que l’on peut dessiner, mais une condition que l’on peut décrire »[2].
De fait la ville s’affirme depuis sa modernité – terme que nous appliquons ici indifféremment à la ville européenne depuis le XVIIIème siècle et plus globalement au fait métropolitain mondialisé des dernières décennies – comme étant la superstructure de l’économie mondiale. Ce théâtre où l’opportunité du gain attire les masses et polarise l’installation du tissu entrepreneurial, ce lieu qui organise une infinité de configurations autour de l’infrastructure, de la mobilité, des flux matériels et immatériels, ce paysage schizophrénique des juxtapositions les plus antinomiques, des sauts scalaires les plus contrastés, cette boîte de Petri où fermentent les arrangements sociaux les plus inégaux, cette condition, c’est la métropole.

Condition que l’on ne peut que « décrire » ?
Lagos[3], le Delta de la rivière des Perles[4] : deux exemples de cet acte de description. R.Koolhaas y emprunte le rôle du chroniqueur qu’il a été pour le De Haagst Post dans ses vertes années, une posture délibérément « amorale », infiniment ouverte à la saisie la plus décomplexée des faits du territoire[5]. Derrière ce filtre, les territoires les plus instables, les plus dérégulés, les plus précaires aussi, finissent par arborer l’image de porteurs de vérités urbaines, voire d’alternatives à la perception du fait urbain à l’occidentale. Une vision extrêmement positive qui réhabilite ces territoires de « troisième zone » en incarnations d’un fait métropolitain mondialisé, de nature équivalente aux territoires métropolitains de « première catégorie ».

lagos, paradigme de la dérégulation, du spontané et de l'implanifiable

shanghai, contrastes scalaires

Plus récemment, lors de la consultation du Grand Paris, une équipe s’est distinguée par l’attention portée au déjà là de l’agglomération parisienne. Partant du postulat que cette agglomération n’obéit plus aux mécanismes articulant un centre et une périphérie, et qu’elle s’inscrit désormais dans un contexte de compétition généralisé entre capitales internationales. Le territoire francilien est décrit dans la pluralité de ses « situations métropolitaines » et dans la nécessité de se mettre au diapason d’autres métropoles mondiales, présentant elles-mêmes des situations similaires.
La posture de projet de l’AUC consiste à dire que le fait métropolitain existe déjà et s’illustre par une infinité de situations mondiales ayant chacune leurs propres écologies et dynamiques de réussite, constituant ainsi une « matrice », une boîte à outils dans laquelle les décideurs peuvent puiser des concepts de gestion et de développement de la métropole francilienne.
Cette positivation sans réserve d’un fait métropolitain universel est en soi – ainsi que l’illustrent ces deux exemples – une posture de projet. Une vision active de transformation et de décision de la ville dont le primat est l’abdication totale face à l’urbain. La description est ici vectrice de projet.
Une chose est de prendre acte – « décrire » – du fait de la métropole, être conscient de ses mécanismes, de sa fabrication, de sa résistance à la décision, des richesses et des inégalités qu’elle génère ; une toute autre chose serait d’en faire projet.

Conscients de l’échec qu’a pu constituer la prise en main positiviste de la ville par les modernes – et par là nous entendons plus les instrumentalisations technocratiques de l’idéologie moderne durant les Trente Glorieuses et les avatars métropolitains aussitôt avortés qu’elle a pu générer – peut-être devrions nous éviter l’écueil que serait l’abdication totale face au fait métropolitain tel que décrit plus haut. Résister ? De quelle manière ?

01_ Urbs Versus Civitas

Aujourd’hui plus qu’auparavant, les mécanismes ubiquitaires d’un capitalisme libéral débridé impriment leurs forces avec une violence croissante sur ce qui constitue désormais le milieu de vie de la majorité d’entre nous. Là où la ville a été le lieu de la décision des formes de coexistence entre ses habitants – ou autrement le lieu politique par excellence –, le politique semble aujourd’hui abdiquer le dessin de ce lieu pour n’être plus que l’instrument de l’économique, la métropole apparaît alors comme le lieu atone d’une « démocratie apolitique » au service du marché.

Cette condition urbaine contemporaine est fille d’une constitution historique trouvant ses sources dans les clivages entre le politique et l’économique au sein des cités  classiques, grecques puis romaines.

Afin de retracer ces péripéties le plus succinctement possible – avec la marge de réductions et de maladresses que ce procédé implique – nous nous appuierons principalement sur le très récent ouvrage de Pier Vittorio Aureli, The possibility of an absolute architecture[6]. Au fil de l’ouvrage l’auteur développe la thèse de la possibilité d’une réappropriation citoyenne de l’espace urbain par le biais de l’intervention architecturale notamment à travers le concept de limite.

Le propos consiste dans un premier temps à retracer la généalogie de la métropole contemporaine à travers le conflit entre deux concepts de la ville : urbs et civitas.

Le premier fait référence à ce qui dès la ville romaine désigne un tissu urbain porté essentiellement par une structure : la route. Ce modèle contient un paradigme majeur, celui de la création d’un système de croissance de la ville par l’application d’une trame réglée pouvant contenir et s’adapter à diverses situations. Il a été, avec la Légion et la Lex – la loi impériale – l’un des principaux leviers de l’expansion et de la pérennité de l’empire Romain. Décrit dans le texte par opposition à la Polis grecque, cité finie, clairement identifiée à l’intérieur d’une enceinte, constituée autour d’une communauté, l’urbs est l’artefact de l’intégration et de l’expansion par excellence.

urbs, la structure urbaine de la ville Romaine

Le second – civitas – désigne la citoyenneté romaine par son aspect le plus irréductible, celui de la libre citoyenneté dès le moment où l’individu se soumet à la loi de l’empire et qu’il se reconnaît ainsi dans la cité. Par extension, ce concept implique une reconnaissance politique de l’individu dans un territoire et un système de valeurs qui garanti ses droits, dans lequel il se reconnaît et auquel il associe son destin.

Polis, la cité grecque, entité close de l'archipel Hellenique

Ce qui nous amène à introduire un troisième concept, la technè oikonomikè. Ce concept aristotélicien désigne par excellence la gestion de l’espace privé. L’espace de l’oikos, la maison. Par opposition à l’espace public, le privé est un espace franc des lois de l’intérêt collectif. Nous reconnaîtrons aussi dans ce concept la racine du terme économie.

Avec la renaissance des cités européennes dès le Moyen-Age autour du tissu de relations économiques soutenu par l’innovation agraire et un artisanat performant, la dimension de citoyenneté disparaît pour laisser place à une fusion entre développement urbain et croissance économique. Nous assistons aux débuts de la détermination des formes urbaines par un nouveau type de solidarités sociales autour de la valeur de travail et de son organisation. Ce modèle instaure la ville comme le lieu par excellence de la production de richesse.

Le réseau économique de la ville médievale

La ville classique, prémisses de l'infinité urbaine

Quelques siècles plus tard, l’abolition des ordres féodaux fait triompher une classe sociale en pleine croissance, la bourgeoisie. Cette classe, par la possession des moyens et des lieux de production occupe inévitablement un rôle incontournable dans la détermination du destin de la ville moderne. La bourgeoisie, en employant des ouvriers, en développant l’industrie, en possédant du foncier et en produisant de la richesse, entraine dans le sillage de sa libération la constitution même des métropoles européennes de l’époque. L’économie de cette classe – son domaine privé – se confond alors quasi-totalement avec le devenir de l’ensemble de la société et des systèmes de gouvernance – civitas. Ceci génère une forme de cohabitation humaine dans un milieu uniquement basé sur la maîtrise de la structure urbaine – urbs –, l’économie tenant le cap. On voit d’ailleurs cette tendance s’imposer de la manière la plus décomplexée notamment dans la colonisation des territoires nouveaux et « vierges » des Amériques.

02_ Trois Théories Ironiques pour la Ville Sans Limites

La théorisation de cette fusion de la ville dans l’urbanisation comme paradigme structurel et structurant du milieu urbain est illustrée par des projets ayant pour dénominateur commun un sens délibéré du paradoxe. Parmi ses représentants les plus emblématiques, Ildefonso Cerda, Ludwig Hilberseimer et le collectif Archizoom, ont coup sur coup forgé des représentations successivement illustrées par leur positivisme délibéré ou par leur verve critique, mais toutes ces images se sont régulièrement dissolues – en dépit de leur résistances – dans l’objet même de leurs descriptions : le triomphe de la ville sans limites.

021_ Fuck the City

Le premier en 1867, Ildefonso Cerda emploie le terme urbanisme dans son ouvrage théorie générale de l’urbanisation. Le néologisme désigne une rupture conceptuelle dans l’ontologie de l’espace urbain. La ville n’est plus cet espace clos, aux monuments et typologies ségrégatives définies, la ville est avant tout un espace d’échange et de production qui doit s’inventer les moyens d’une expansion et d’une meilleure répartition de ses richesses entre ses habitants. Les outils avancés par Cerda pour son plan d’extension de Barcelone sont emblématiques quant à ce changement de paradigme. Grille réglée par des blocs de 133m x 133m, usage de la statistique, répartition pondérée des équipements au fil de la trame, recherche d’une densité « idéale » de 250/hab/ha…etc. L’agrument scientifique est omniprésent et tend à considérer l’élément urbain en tant qu’entité objective, infrastructurelle permettant l’équilibrage des richesses et une solidarité économique du grand territoire. Le modèle ainsi proposé relève d’une gouvernance économique basée sur le contrôle du prolétariat, l’enrichissement et la sûreté du territoire.

Naissance d'un concept: l'urbanisme comme science de l'extension de la ville

Le fait est qu’on ne retiendra de ce plan progressiste – et ce en dépit du progressisme social affiché par Cerda lui-même – que son expression la plus neutre, la plus infrastructurelle : la grille de la suppression de différence. Cette grille que Françoise Choay reconnaît pour sa scientificité témoigne du passage du caractère politique de la ville vers ce que Giorgio Agamben appelle le « paradigme de gestion ». Supplanter l’infrastructure « déterritorialisatrice » – outil de l’économie – au symbolisme classique centré autour du pouvoir politique.

022_ Fuck Architecture

La proposition de Hilberseimer pour son ouvrage Groszstadtarchitektur qu’il publie en 1927, signe à sa façon une nouvelle rupture dans la constitution du fait métropolitain contemporain. Prenant acte des nouvelles donnes de mobilité de l’individu moderne autour du travail, il propose une métropole de l’annihilation totale de différence. Au sujet de son projet Hochhausstadt, 1924 – illustrant ainsi son propos dans Groszstadtarchitektur – il écrit : « the project for the city consists of coordination between two extremes : the overall plan for the city that would link its productive and economic forces, and the definition of the single inhabitable cell ». Autrement, c’est la naissance du concept de ville générique avant l’heure, une ville où l’anonymat de la forme urbaine révèle l’entière prise en main de la ville par les forces du capital, et le recentrage de la sphère individuelle autour de la cellule maîtresse du travailleur, puissante cheville ouvrière de cette infrastructure. Ce faisant il récuse la nostalgie corbuséenne pour la ville classique que ce dernier manifeste dans son dessin pour la ville pour trois millions d’habitants, 1922. Dans cette ville se lisent encore des compositions monumentales autour du pouvoir et une multiplication des typologies et des références  empreintes de la forme de la ville, cette forme capable de séparer et de produire l’image hétéroclite d’une société de classes.
Le plan de la Hochhausstadt de Hilberseimer, bien au-délà de la proposition d’une structure souple et infiniment extensible élimine toute question de forme. L’architecture n’a plus de fonction formelle mais figure uniquement comme l’élément de remplissage dans une grille infinie. L’espace public, l’espace privé, politique ou économique, tout ce qui peut faire forme, tout ce qui résiste par son sens, est annihilé. Seule s’affirme la perception totalisante et organique de la ville en tant que système illimité où l’urbanité même est conçue comme un unique espace domestique isotrope célébrant le prolétariat.

La ville Haute, 1924: annihilation de la forme

Trame, infinité, extrême flexibilité, anonymat, infrastructure. Tel est l’héritage contemporain de la métropole que nous avons aujourd’hui extrait de ce projet.

023_ Fuck the Proletariat

Quarante ans plus tard, les CIAM finissent de se briser, et, lasses d’une génération de positivisme clinique, s’éveillent les contre-utopies italiennes et autrichiennes, prêtes à en découdre avec la métropole et le capitalisme. Les modes opératoires sont renouvelés, finis le Plan Masse, la Foi, et le Progrès, place à l’Œdipe, la Paranoïa, l’Ironie, l’Action et la Performance. Ce détournement du projet comme science vers un projet vécu comme langage et attitude de combat tente d’en finir avec ce siècle méprises.

Cent ans après la Théorie générale de l’urbanisation de Cerda, Archizoom, collectif d’architectes florentins entament leur projet de No-Stop City.[7] Inspiré du marxisme operaïste[8], le projet conduit une fiction du présent en partant du postulat selon lequel les avancées technologiques contribueraient dans un futur très proche à annuler la polarisation entre centre financier et périphéries résidentielles. Ceci générerait un urbanisme parfaitement isotrope où tout s’accomplit « partout » : une urbanisation pure et simple. Cette hypertrophie de l’infrastructure mettrait l’explosion du prolétariat en passe de prendre le contrôle des forces du capital. L’infrastructure totale y est considérée comme thérapie de choc, radicalisée par l’absurde. Elle se positionne contre les formes de la ville traditionnelle et de la bourgeoisie. L’environnement ainsi théorisé est une ville sans différence entre intérieur et extérieur, vieux et neuf, public et privé, production et consommation.

No-Stop City, ou l'ubiquité métropolitaine

Mais victime de ce que Hegel appelle le « mauvais infini » – à savoir une infinité qui ne cesse de se dénigrer par la répétition d’évènements finis, ici la figure de la consommation – la critique de la société bourgeoise entamée par Archizoom sur ce procédé de fiction hypertrophique du réel est piégée par son image : l’infini métropolitain proposé vide le projet de son sens critique. Ce dernier devient prophétique de notre condition contemporaine, celle d’une ville uniformisée, sans limites, contrôlée par la consommation.

No-Stop City ville de la consommation: mise en scène de l'obsolescence spontanée

Cerda, Hilberseimer et Archizoom on théorisé l’urbanisation comme le destin ultime de la ville contemporaine. Partant des meilleures intentions – se libérer des formes classiques pour une émancipation vis-à-vis des forces et hiérarchies traditionnelles afin de réaliser l’idéal marxiste, celui d’un prolétariat maître de l’économie – les projets avancés « échouent » en cristallisant – au lieu du progrès social – un imaginaire métropolitain qui finit par advenir, par se réaliser de manière quasi prophétique.  Leurs propositions décrivent une géographie isotrope et une infrastructure dont le projet est l’homogénéisation du territoire.

03_ « Ville des Différences Exacerbées »

The city of the captive globe, competition des parties

Cependant, cette isotropie métropolitaine finit par produire – de manière collatérale – ses contradictions par excellence : l’enclave et l’icône. Dans l’un des premiers projets de Rem Koolhaas, The city of the Captive Globe[9], 1972, ce dernier théorise les deux concepts qui serviront de trame à son texte fondateur Delirous New York qu’il publie pour la première fois en 1978. C’est dans le cadre de ce projet qu’il élabore à propos de la congestion Manahattanienne : la trame isotrope – l’urbs, théorisé par ses prédécesseurs dont nous avons évoqués les projets précédemment – finit par organiser une concurrence entre les différents blocs. Il avance la théorie de la lobotomie[10] qui s’opère entre le bloc et son contexte, celle-ci exprime l’autonomie que s’adjuge chaque bloc par l’intensification de sa propre idéologie et le refus des lois s’exprimant par l’extérieur. Cette ville a pour but de résoudre le schisme entre la permanence de la structure urbaine et le pluralisme radical requis par la métropole où les archétypes architecturaux sont acceptés et réduits à des icônes. C’est la ville des différences exacerbées[11] dont il parlera trois décennies plus tard dans l’introduction de son ouvrage sur le Delta de la rivière des Perles, The Great Leap Forward. Cette possibilité de la différence introduit l’idée de la ville dans la ville qu’il développera dans Delirious New York à travers l’exemple de l’hôtel Waldorf Astoria et du Downtown Athletlic Club.
Ce concept de différence et d’anisotropie de l’espace métropolitain a été inspiré à Rem Koolhaas par sa collaboration avec O.M. Ungers entre 1972 et 1976. Mais si ce dernier considère l’opposition entre différentes parties comme la génératrice d’une unité critique de l’ensemble, pour Rem Koolhaas, la différence n’a de fin qu’en elle même et ne vise d’aucune façon à affecter l’infrastructure. Chez Koolhaas, l’enclave peut être comprise comme conséquence immédiate de la domination économique du capitalisme d’accumulation : ce dernier met l’espace urbain en lien lorsqu’il s’agit d’exploiter, d’organiser le travail, d’absorber ; mais il opère la séparation lorsqu’il est question d’accumuler et de distribuer le profit. L’enclave est dans ce cas un élément donné immédiatement par le contrôle du système économique. Là où dans No-Stop City, Archizoom laisse présager la ville sans limite, The city of the Captive Globe de Koolhaas préfigure les avatars de l’architecture-icône comme célébration des enclaves et de la ségrégation.

04_ Resistance

Après avoir tenté d’élaborer en quelques lignes ce résumé sélectif de la constitution du fait métropolitain contemporain – sa propension à l’infini, la légitimité économique dans le fait de sa structure, la dissolution de la civitas dans l’urbs, sa résistance à toute planification globalisante et progressiste, sa production d’enclaves et la fabrication d’icônes ségrégatives du domaine privé qui accompagne ce mouvement de différenciation – nous tenterons maintenant, en peu de mots, de formuler une position.
Il n’est pas question ici de réfuter ce fait métropolitain, ce fait est déjà-là, et à travers lui, nous sommes-à-la-ville, chacun à notre manière. Il n’est pas question non plus de proposer une alternative, ni globale, ni médicale, ni nostalgique, ni altermondialiste.

Contre l'icône libérale

Si le système décrit jusqu’ici s’illustre par son absence de limite, nous nous positionnons dans cette indétermination pour écrire des limites. Nous nous positionnons – et c’est en cela que nous faisons manifeste – pour une affirmation du politique, et pour l’affirmation de ce dernier dans une forme pour la métropole. Ce déploiement à l’intersection entre forme et politique est une tentative de résistance, ou devrions nous dire de persistance afin de réaffirmer la ville en tant qu’espace citoyen et non plus uniquement comme l’espace de l’individu. Par espace citoyen nous entendons l’espace dédié à la confrontation à travers lequel nous nous définissons dans la ville au même moment où nous la définissons.

041_ Composer

Afin de déterminer l’espace de ce chevauchement entre le politique et la forme, nous nous référerons encore une fois à l’ouvrage de P.V. Aureli, dont nous épousons en grande partie la thèse. Ce dernier esquisse en quelques pages une analogie dans l’ontologie de ces deux concepts.
Hannah Arendt écrit : « politics is based on the fact of human plurality. […] Man is apolitical. Politics arise in what lies between men and it is established as relationship ». En ceci, ce n’est pas l’homme en tant qu’intériorité – l’individu – qui apparaît comme le lieu de la genèse du politique mais bien l’interstice entre des hommes. Le politique est un fait de limite, d’extériorité, son espace est défini par la multitude désolidarisée. Le politique comme rapport, s’établit donc entre plusieurs individualités aux priorités et aux aspirations « hostiles ». Ce rapport opère une définition de soi contre l’autre, en négatif, et en tant que tel il opère comme révélateur par l’extérieur. Dès cet instant, accomplir une action politique ou d’intérêt collectif revient à se définir en tant que partie distincte des autres.

Politique, interstice entre les sphères individuelles

Définit en ces termes, le concept de politique s’articule autour des notions d’extériorité et d’intériorité, d’expérience de l’altérité et de soi à travers la limite entre ces deux domaines. En cela il se rapproche du concept de forme. Pour cela il faudrait s’abstraire de la dialectique entre visible et abstrait, le contenant physique et le contenu symbolique. Considérons plutôt le concept du formel, que nous définissons comme l’expérience de la limite, comme la relation entre une intériorité – le sujet accomplissant l’action – et une extériorité – la situation, le contexte objectif dans lequel se produit l’action. Dans ce sens Jeanne Hersch perçoit la notion de forme comme étant paradoxale, elle indiquerait simultanément l’unité et la différenciation spatiale, un caractère partiel, une limite, une détermination, un changement d’état. La forme apparaîtrait alors par la volonté d’appropriation d’un certain nombre  de sujets, de leur volonté d’agir en son sein, par rapport à elle. C’est donc dans la définition d’une limite et dans l’action que les formes apparaissent. Limites que l’action éprouve, limites que l’action recherche, limites que l’action suscite, limites que l’action met en évidence.

Paul Klee, zeichen in gelb, 1936. définition reciproque entre fond et fgure

Considérer le formel dans les termes de la limite et de l’action indique son caractère extra référentiel, non autonome, résultant invariablement de la composition de relations. En indiquant la forme, nous nous indiquons nous-mêmes. Elle révèle l’extériorité, le rapport que cette extériorité entretien avec la forme, et comment l’extériorité se définit elle-même – intérieurement – dans ses parties.
Ce développement permet de faire émerger la possibilité d’un positionnement contre l’espace urbain, le paysage urbain, ou toute autre manifestation de l’idée d’urbanisation et ce qu’elle implique en termes de dissolution de la différence. Les concepts de politique et de forme indiquent la possibilité, par résistance, d’une composition de « différences » par l’acceptation de la notion de limite. Par voie de conséquence la forme est une question proprement politique, le concept de forme, tout comme le concept de politique exprime la condition d’une composition entre parties.

042_ Conditions d’insularité

Ce projet de resurgissement d’une civitas potentielle pour la métropole, où – pour reprendre les termes de l’analyse développée ci-haut – ce projet de composition entre parties distinctes, nourries par l’opposition, contenant l’idée d’une structure Archipelagienne au travers de laquelle une lisibilité de la mer urbaine est réécrite, permetterait ainsi aux habitants de se projeter et de se reconnaître dans le territoire métropolitain.

Exodus, ou les prisonneirs volontaires de l'architecture

Le premier à avoir théorisé cette configuration urbaine dans le cadre d’un projet d’ensemble est l’architecte Allemand Oswald Matthias Ungers dans son projet pour Berlin as a green Archipelago.
Son travail a été nourri par sa collaboration avec Rem Koolhaas à partir de 1972, et notamment par ses travaux Exodus, or the Voluntary Prisoners Of Architecture, et de the city of the Captive Globe. Ces deux propositions, comme nous l’avons évoqué plus haut, font l’hypothèse de la mise en place d’une différenciation exacerbée entre les enclaves de la métropole. Cette différenciation s’accompagne d’une autonomisation de ces enclaves et d’une intensification de leur contenu propre, avec pour corollaire l’émergence d’une grande désirabilité métropolitaine de ces parties. La collaboration entre les architectes dans différents projets entre les années 1972 et 1976 connaîtra la production de tentatives de mises en œuvre de ce concept d’insularité, notamment pour le projet de Roosevelt Island auquel participent les deux penseurs en 1975. Plutôt qu’un plan masse global pour le développement de l’île, le projet proposé avance l’hypothèse de la mise en place d’une structure – une citation de la trame manhattanienne –  au sein de laquelle seulement quelques activateurs sont programmés. Le reste de la trame est laissé libre à l’insertion opportuniste de la ville autour de ces programmes.

Projet pour Roosevelt island, activateur métropolitain

Or là ou R.Koolhaas accepte cette différence comme existant pour elle-même, fruit d’une libre compétition instaurée par le système libéral de production d’individualité, Ungers y voit l’opportunité d’une résistance à ces même mécanismes d’obsolescence infinie. La collaboration entre les deux hommes prendra fin sur ce différend de taille peu de temps après, lorsque Koolhaas achève l’écriture de son manifeste rétroactif pour le Manhattanisme en 1976 au sein de la Cornell University.
La conception Archipelagienne de la métropole chez Ungers est nourrie d’un idéal de communauté qu’il puisa au cours de ses recherches durant sa résidence à la même université de Cornell. Il s’intéressa en effet à l’émergence du système insulaire des équipements sociaux viennois du début du XXème siècle : les Höfe. En effet, durant la vague de construction de ces équipements mixant quartiers de logements sociaux et infrastructures publiques, l’idée a été de localiser ces quartiers de manière discontinue dans le territoire, indépendamment de tout plan d’ensemble. L’effet de cette stratégie fut l’émergence d’une mixité des territoires urbains et d’un sentiment d’appartenance social fort à ces compositions monumentales, au point  qu’elles devinrent les foyers de résistance politique durant l’occupation nazie. Aussi, la dérive que connaît ce type de quartiers actuellement en devenant le siège d’une gentrification métropolitaine témoigne de l’iconicité et du poids symbolique que ces lieux ont pu concentrer par le passé en tant que superstructures de l’identité urbaine.

043_ Fond et Figure

La cristallisation la plus exemplaire de ce concept dans l’œuvre de Ungers se produit avec son projet pour Berlin as a Green Archipelago. Ce projet est emblématique pour notre propos puisqu’il intervient au moment d’une crise majeure du territoire berlinois durant les années soixante-dix.
Après le partitionnement des territoires de la ville à la fin de la seconde guerre mondiale, la partie Ouest de Berlin, se retrouve enclavée en plein cœur des territoires est-allemands pro-soviétiques. Cette situation politique s’aggrave avec la construction du mur dans les années soixante et par la fermeture militaire de la frontière entre les deux parties de la ville. Berlin Ouest ainsi enclavée n’a d’une part, plus aucune possibilité de croissance spatiale du fait de son insularité, d’autre part il se produit alors un exode massif des populations de l’enclave vers l’Allemagne de l’ouest, dépeuplant ainsi de vastes étendues au sein de la ville. C’est donc dans ce contexte de décroissance manifeste de la ville que le projet de O.M.Ungers voit le jour.
Face à cette configuration inédite, l’architecte met en œuvre une stratégie sensible: une attention exacerbée pour l’existant et la mise en place d’un système d’intensification de la ville par la figure de l’archipel. En effet, un travail de relevé et de reportage méticuleux permet l’identification des zones de résistance du territoire berlinois à cette crise. Ces zones sont les quartiers où la population qui fait le choix de demeurer dans la ville se replie faisant émerger des lieux de solidarité.

Une fois identifiés, ces îlots sont étudiés dans leur structure interne, leur fonctionnement. Ces données servent de modèle pour la mise en place des projets de développement et/ou de reconversion de ces quartiers. A l’échelle de la ville émerge alors un chapelet d’entités fortes qui seront mises en synergie par le biais d’une infrastructure de liaison rapide.
Mais une fois cet archipel défini, qu’advient-il du reste ? Ungers propose de transformer l’étendue métropolitaine abandonnée en une mer verte. Un socle constitué d’espaces verts au sein duquel prendront place les insulas de l’archipel berlinois. Ces espaces traversés par l’infrastructure sont destinés à divers usages, du parc à la nature sauvage en passant par l’agriculture. Cette dernière est évoquée dans le dessein de participer à l’autonomie de cette enclave en produisant une ressource locale pour l’alimentation de la population.
Dans le cas de ce projet on voit bien de quelle manière la définition – composition – de parties « absolues », distinctes et différentes finissent par figurer une forme délimitée sur un arrière plan. Il y a d’emblée interaction entre ce fond et cette figure qui achèvent par se définir mutuellement. Par cette définition, une lisibilité de la métropole permet la réaffectation des fonctions du territoire et de ses espaces, ainsi que la cristallisation d’une forme d’appartenance à un ensemble. On peut aussi noter la volonté de l’architecte de se soustraire à l’écueil d’une proposition totale, un énième plan masse démiurgique qui se verrait comme l’expression de la résolution positive de la crise berlinoise.

O.M. Ungers, Berlin as a green archipelago, 1977

05_ Vers la métropole Archipélagienne

Ce projet a pour nous une importance primordiale, notamment dans le cadre d’un projet pour la métropole nocturne. De manière aussi déterminante que l’analyse développée au fil du texte quand à la nécessité de retrouver une forme de lisibilité globale de la métropole par la nécessaire réinjection de la civitas dans l’urbs triomphant, la composante critique du territoire en décroissance dans lequel se positionne Ungers a quelque chose de très analogue à la situation nocturne de la métropole. De fait, il en va de même de l’enclavement et du dépeuplement de Berlin sous le joug de la guerre froide que du cas de la métropole parisienne lorsque les mécanismes structurants de la journée cessent d’opérer. La ville se contracte, elle se dépeuple et ses territoires connaissent l’enclavement.

Projet nocturne : Métropole Archipelagienne

C’est dans cette contraction de l’espace métropolitain que nous verrons l’interstice de notre projet Archipelagien pour la métropole nocturne.

Rédigé par: Amine Ibnolmobarak


[1] Rem Koolhaas, What ever happened to urbanism, S,M,L,XL, 1994
[2]
AUC, Consultation internationale pour le Grand Pari(s) de l’agglomérattion parisienne, 2008
[3]
Rem Koolhaas, Harvard Design School Project on the City, Mutations, éditions ACTAR, 2000
[4]
Rem Koolhaas, Harvard Design School Project on the City, The Great Leap Forward, Taschen, 2002
[5]
Roberto Gargiani, Rem Koolhaas | OMA, The construction of merveilles, EPFL Press, Routledge, Essays in architecture, 2011 : « like the rest of the editorial staff of the weekly, koolhaas tried to purge his work of any comment other than description of facts. Interviewees for example were asked no questions but simply shown a microphone, as if to comply with Surrealist tenets of automatic writing. ‘No moralizing or or interpreting (art-ificing) the reality, but intensifying it. Starting point : an uncompromising acceptance of reality’ ».
[6]
Pier Vittorio Aureli, The possibility of an absolute architecture, MIT press, 2011
[7]
Dominique Rouillard, Superarchitecture, éditions La Villette, 2004
[8]
Operaïsme : faction du marxisme autonomiste considérant que plus le système capitaliste se généralise, plus il assujetti de travailleurs, plus il leur donne de pouvoir de contestation et de contrôle sur ses mécanismes. Operaïsme dérive de l’italien operaio, ouvrier. Le prolétariat n’est pas considéré comme opérant de manière homogène mais, au contraire, un recentrage sur l’individualité du travailleur comme moteur de la prise de pouvoir est avancé dans ce courant. Voir Toni Negri qui est l’un des principaux théoriciens de l’operaïsme.
[9]
Rem Koolhaas, Delirious New York, 1978
[10]
ibid.
[11]
R.Koolhaas, Harvard Design School Project on the City, The Great Leap Forward, Taschen, 2002.

L’Axe historique

Manifeste Shéerazade

Manifeste – Vers une Isotropie du territoire

Vers une isotropie territoriale

MANIFESTE / Metropole nocturne : vers une disparition des limites

 La nuit offre un nouveau champ d’exploration du paysage métropolitain. Elle nous force à porter un autre regard en s’affranchissant ou en renforçant les inégalités qui composent le territoire urbain. Aborder la question de la métropole nocturne sous l’angle des limites est un moyen de confronter ces inégalités, de les questionner, de les renverser.

LIMITES TEMPORELLES 

La première limite dont la nuit s’est affranchie est bel et bien celle du temps. Avec l’arrivée de l’électricité dans les villes, le temps de la nuit n’est plus considéré par tous comme un temps dédié au repos, car une ville attractive est une ville qui fonctionne en continu. La ville 24 heures sur 24 que nous dresse Luc Gwiazdzinski[1], montre bien cette disparition des limites temporelles. Les actions, qui autrefois se succédaient les unes après les autres, aujourd’hui se chevauchent, se superposent, se court-circuitent. Avec la démocratisation du téléphone portable, des outils informatiques et numériques on voit le temps alloué au travail prendre part sur le temps des repas, le temps du sommeil ou des activités familiales. Les nouvelles technologies, toujours plus performantes, nous poussent à une optimisation et à une rentabilité du temps. Cette course contre la montre est sans fin et l’homme à souvent tendance à oublier qu’il n’est pas un rouage mécanique de la ville fonctionnelle mais bien l’élément organique qui la fabrique. La vision que Fritz Lang nous offrait de la Métropol(is)e en 1927 n’est malheureusement pas dépassée. L’homme d’aujourd’hui continu de se faire dévorer par la ville-machine. 

De nombreuse villes américaines, créées dans l’objectif d’être des villes-machines, subissent aujourd’hui le contrecoup de ce qui avait été le facteur de leur développement. L’exemple de Détroit est sans doute le plus frappant. Cette situation, d’une croissance principalement liée au développement de l’industrie automobile, nous montre bien qu’une ville ne peut vivre d’un seul domaine économique et que sa pérennité est assurée par leur diversification. Détroit nous donne aussi à voir comment une ville dévorée par l’industrie se relève d’une crise qui a décimé plus de la moitié de sa population en 50 ans et comment les habitants se tournent de nouvelles pratiques de l’espace urbain pour continuer d’exister. Depuis quelques années ils encouragent la nature, qui avait déjà bien repris ses droits, à se développer d’avantage en se tournant vers l’agriculture. 

Toute fois faut-il en arriver à des situations aussi extrêmes pour prendre conscience du rythme continu et effréné de nos villes? Le temps de la nuit est peut être un espace à redécouvrir et à préserver. Prendre son temps est sans doutes la clé de nouvelles pratiques dans la ville. Cette volonté de retrouver des rythmes soutenables et de sortir du système frénétique de la ville en continu s’est manifestée dans le domaine alimentaire en 1989 avec le manifeste : Slow-food : Mouvement international pour la sauvegarde et le droit au plaisir de Folco Portinari. L’objectif est de revenir aux choses simples et par ce (lent) mouvement[2] retrouver les notions de partage et d’échange. Depuis ce phénomène s’est étendu à d’autres secteurs comme le design ou la mode mais continu d’offrir de nouvelles possibilités. De la même manière que le mouvement slow-food, l’agriculture biologique répond à ce respect de la qualité des produits en garantissant aux consommateurs des conditions de production qui respectent une chartre. Mais ce qui devait garantir la qualité est aujourd’hui utilisé comme un argument de vente.

Bien que les enseignes contribuant à la société de consommation aient réussi à récupérer ces idéologies du mieux vivre en estampillant leurs produits à coup d’ « éco-responsable », « éco-geste », « éco-quartier »… il semble possible de croire en ces valeurs sans pour autant tomber dans la caricature.

LES LIMITES DU SYSTEME RADIOCONCENTRIQUE

La limite à laquelle on se heurte en portant un regard sur la métropole est liée à sa forme urbaine. En effet, la région parisienne s’organise en un système concentrique avec pour noyau la capitale (contenant l’essentiel des équipements qui répondent au large panel des besoins) encerclé par un boulevard périphérique rigide lui même entouré les deux couronnes. Ce système divise le territoire et empêche une répartition équitable des zones d’attractivité. Les limites qu’il engendre sont palpables dans plusieurs domaines.

LIMITES VISUELLES 

Lorsque l’on confronte ce système radioconcentrique au domaine de la nuit on remarque un fort contraste entre la perception que l’on a du paysage nocturne parisien et celui des banlieues. Si Paris est considérée mondialement comme la ville lumière, qu’en est-il une fois le périphérique passé? 

Lors des explorations nocturnes effectuées le long de la Seine, j’ai pu constater que l’éclairage présent sur les différents territoires traversés en petite et grande couronne était entièrement dédié aux équipements et à la route. La lumière artificielle joue ici le rôle de signal informel des zones actives la nuit. Au delà de ces espaces illuminés, le paysage tapi dans le noir se distingue à peine. Comme le disait Patrice Noviant, lors de son intervention le mois dernier, l’absence de la lumière et donc l’abstraction visuelle nous oblige à faire appel aux autres sens (mémoire, odorat, ouïe, touché) pour ressentir les espaces que l’on parcoure. Les limites physiques des éléments qui nous entour deviennent alors floues. Cette appréhension de la ville est d’un tout autre rapport car nous nous rattachons à nos repères et non plus ceux que nous avions l’habitude de voir.  

Vue vers Achères depuis Confans à la confuence de l'Oise et de la Seine

 LA SEINE : BARRIERE NATURELLE 

Si Paris est tournée vers son fleuve, les communes extra-muros quant à elles lui tournent le dos pour la plupart et cela se ressent dans le traitement très inégal et discontinu des berges. La Seine qui permet le dégagement des points de vues et la création de lieux d’attractivités au sein de la capitale se retrouve être une barrière géographique de plus en plus difficile à franchir ou à contourner au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la ville. L’écart grandissant entre les ponts renvoi à ce système radioconcentrique et démontre bien qu’ils ont été érigés pour relier la banlieue à Paris et non pas pour créer des connections entre les différentes communes. 

La nuit rend ces contrastes encore plus perceptibles. L’absence d’éclairage public nous fait rapidement comprendre que ces lieux ne sont pas dédiés aux pratiques nocturnes mais bel et bien aux activités de la ville fonctionnelle et industrielle. Les zones urbaines qui se trouvent le long de la Seine sont autant d’éléments indépendants et solitaires qui ne se rencontrent jamais. Rendre les berges accessibles en favorisant la perméabilité de ses différentes zones consisterait à révéler le potentiel encore trop inexploité de ce fleuve. Ma démarche s’inscrirait dans celle de Bernardo Secchi et Paola Vigano de Studio 11 qui proposent l’image de la ville poreuse. « Inventer de nouvelles façons de vivre avec l’eau« [3] serait un enjeu capital et permettrait de « briser les enclaves qui ont des conséquences sur la géographie sociale« .  

SEGREGATION SOCIALE 

La forme urbaine la région parisienne renvois donc également a des problématiques d’ordre social. Le périphérique jouant ici le rôle de « fortifications modernes » exclu de la même manière que le faisaient les anciennes, une partie des individus du cœur de la métropole. Je veux entre autre parler des parisiens qui ont dû quitter la ville pour ses banlieues tout simplement parce que la ville était devenue trop chère pour y vivre[4] sans toute fois y trouver la même effervescence et surtout les mêmes possibilités de mobilités. Le réseau des mobilités répondant à la forme urbaine de la région parisienne, les zones de concentration des différents modes transports en communs se localisent dans paris intramuros. Les déplacements extramuros étant déjà difficiles à effectuer le jour, ceux de nuit, quand bien même ils comprendraient un point à l’intérieur de la grande ville, relèvent presque de la mission impossible. Mais au-delà des problématiques liées à la mobilités se révèle le problème de villes qui ne répondent pas assez aux besoins de ses habitants. Il parait évident que les contrastes sociaux qui existent entre les communes ne seraient pas vécus de la même manière si elles ne se renfermaient pas sur elles-mêmes. Si celle-ci se rassemblaient afin de proposer des activités capables de rivaliser avec celles de la capitale leurs habitants n’auraient pas besoin de se déplacer aussi loin. Il ne s’agit pas de spécialiser des régions afin de développer une économie ou un domaine en particulier. L’objectif tendrait plutôt à profiter du potentiel que chaque commune peut offrir autres et de les rendre complémentaires afin de créer une zone de rassemblement compétitive sur tout les points.  

LIMITES ADMINISTRATIVES ET LIMITES PHYSIQUES 

En parcourant les différents territoires qui composent la métropole parisienne on s’aperçoit que leur découpage administratif est régis par des règles qui varient. 

Reprenons la comparaison entre paris et la banlieue. Si Paris est physiquement délimité par le périphérique, les limites entre les communes et les départements ne répondent pas à cette même logique. En grande couronne les limites entre les villes s’observent par des changements de densité, alors qu’en petite couronne on peut aisément passer d’une ville à une autre sans physiquement s’en rendre compte. Bien que les limites géographiques et topographiques contribuent à leur séparation historique, cela ne permet pas une identification nette de leur périmètre.

Toute fois des ruptures physiques existent sans pour autant remettre en cause les frontières administratives des communes. Ces séparations physiques sont en parties marquées par les grandes infrastructures. Ces traces laissées par les autoroutes et les lignes de chemin de fer nous amènent à nous questionner sur les limites des territoires. En effet, ces réseaux en fractionnant l’ile de France ouvrent le champs d’une nouvelle carte de l’ile de France. Ne serait-il pas envisageable de renommer ces lieux enclavés, d’y instaurer de nouvelles pratiques et par la même occasion permettre des interactions entre les villes?

LES TERRES OUBLIEES 

L’autre conséquence liée à ces traces de la vitesse est l’inexploitation des espaces limitrophes. De par leur fonction ces infrastructures font l’effet d’un repoussoir dans la construction des villes. Les risques d’accident obligeant la surélévation, l’enterrement à ciel ouvert ou l’enfermement créent de véritables murs ou fossés. A ces ruptures s’ajoutent les nuisances sonores qui ont un impact direct sur le prix du foncier et la valeur qualitative des espaces. A cela vient s’ajouter un autre facteur, celui de la délocalisation des industries. En effet, les seuls programmes à qui profitent de tels réseaux sont les grandes firmes industrielles. S’implanter près d’une autoroute ou d’une ligne de chemin de fer permet à la fois de se raccrocher à un réseau, de bénéficier d’espace pour étendre son activité mais aussi de ne pas gêner la ville avec ses propres nuisances. Mais en s’implantant ailleurs, là où la main d’œuvre est moins chère, elles ont laissé derrières elles des hommes et des femmes sans emplois et des terrains à l’abandon. 

Ces phénomènes posent la question du statut et créent de nouvelles pratiques du territoire. L’Atelier de Géographie Parallèle s’intéresse à ces lieux qu’il définit de zones blanches des cartes. Leur travail consiste à relever les points aveugles de la carte 2314 OT de l’Institut Géographique National[5] et de les représenter sous forme de photographies, de récit, de vidéos ou bien d’esquisses D’autres mouvements peuvent s’apparenter à la quête de l’AGP mais avec des démarches différentes. Si l’AGP redonne une existence de ces zones oubliées des cartes en les identifiant, d’autres explorent ces territoires cachés dans la plus grande discrétion. Cette fascination de la friche relève plus du défis illégal d’entrer là où personne ne peut aller pour les « vagabonds nocturnes » du documentaire the ghosts of silo n°5[6]. Toutefois par la représentation et la diffusion de leurs actions, ils permettent d’ouvrir de la même manière le débat sur ces lieux inoccupés, inaccessibles et qui pourtant font partis de nos villes. 

ROLE DE L’ARCHITECTURE 

Les infrastructures et les structures architecturées doivent avant tout répondre aux besoins et non l’inverse. L’architecture ne doit pas être au service de la démonstration ou de la représentation d’une quelconque puissance mais doit être utile et sa présence évidente. Dans ce monde régie par la culture de la vitesse et de la propagande du progrès[7] nous sommes et serons de plus en plus exposés aux problématiques causées par un tissu urbain décousu, fait de ruptures qui fractionnent les territoires. Les villes étant en perpétuelle mutation, les usages et les pratiques changeant de plus en plus vite sur des espaces redéfinis à chaque fois, nous devons constamment nous adapter à la réalité et tenter de trouver des solutions de réorganisation du territoire. 

OBJECTIFS

Mon intervention a pour objectif de tendre vers une disparition des barrières sociales et des limites territoriales tout en rétablissant celle du temps et des vitesses lentes. 

C’est pour cela que j’ai choisi un site marqué par des ruptures géographiques et physiques. Cette enclave est également à cheval sur trois départements et des communes d’horizons politiques différents. 

Mes intentions de stratégies sont les suivantes : 

– Rétablir un temps de la nuit en favorisant des activités lentes, 

– Intervenir sur une ile en friche pour rétablir la communication entre les rives, 

– Ouvrir ces espaces à la Seine en rendant les berges perméables, 

– Se servir des limites physiques pour établir un nouveau quartier, 

– Créer une zone intercommunale basée sur la complémentarité des villes,

– Offrir des possibilités d’échanges entre les riverains par la mixité sociale, 


[1]Luc Gwiazdzinski, La ville 24 heures sur 24, éditions de l’aube, 2003.

[3] Propos recueillis par la cité de l’architecture lors d’un entretien au sujet du Grand Paris

[4] Andreas Ruby, Ceci n’est pas Paris.

[5] Unsiteblanc.org

[6] Alexandre Hamel, The ghosts of silo n°5.

[7] Paul Virilio, Penser la vitesse, documentaire de Stéphane Paoli, ARTE éditions, 2008.

Fabienne Salomon

MANIFESTE [ utopie prospective pour la défense. vers un métabolisme du développement durable ]

[ utopies du sol ]

La prédiction, dès les années 1970-1980, d’une culture de la congestion annoncée par Koolhaas et les membres fondateurs de l’OMA [1] a imposé la « condition métropolitaine » comme thème incontournable de la théorie architecturale contemporaine.
Récemment, dans sa réflexion pour la consultation internationale du Grand Paris, l’AUC revient sur les « glissements » [2] identifiés comme à l’origine du passage successif de la grande ville (européenne) à la métropole (occidentale) pour muter enfin vers une condition métropolitaine (mondialisée) [3]. Parmi ces transitions, la pensée de Rem Koolhaas, protagoniste essentiel, est cristallisée dans son article What Ever Happened to Urbanism [4] où il constate notamment l’impasse d’interaction entre échelle locale et métropolitaine.
Plus globalement, l’AUC définit la métropole non plus comme un « lieu » mais comme une « condition » : « l’archipel métropolitain (…) n’est plus une forme (identifiable par sa limite) mais un ensemble (ou une addition) de situations ». La métropole a donc « besoin d’éléments fondateurs sans cesse renouvelés », « de lieux exceptionnels et reconnaissables sur la carte mondiale » [5].
Le concept koolhaassien de « congestion métropolitaine » est fondé sur une « densité à la fois physique et programmatique » [6]. Cette densité s’appuie sur le principe du gratte-ciel de Manhattan [7], qui pour Koolhaas, créé une démultiplication verticale du sol permettant la superposition d’un nombre quasi-illimité de programmes et d’activités. Les propos de Roberto Gargiani [8] concordent : pour Koolhaas, c’est véritablement le sol, surface au potentiel considérable, capable de supporter tout type d’activité humaine, à l’instar des étendues fantastiques de Superstudio, qui est l’élément primordial de la condition métropolitaine.


Ludwig Hilberseimer, Ville verticale, 1924

Ce rêve de démultiplication d’un sol artificiel projeté, générateur d’urbanité, renvoie à un imaginaire moderniste déjà apparent dans les discours et les projets théoriques du début du XXe siècle. Qu’il s’agisse des projets fantastiques de Lamb de 1908, des multiples couches de la Rue Future d’Eugène Hénard de 1910, du Manhattan futuriste de Harvey Wiley Corbett de 1913 rétrospectivement cité par Koolhaas dans New York Délire [9], où les voies de circulation automobiles et piétonnes se superposent, noyant la base des gratte-ciel dans un tissu continu, des représentations de Hugh Ferris accompagnant les propositions de Corbett pour la loi de zonage de 1916 [10] ou le Regional Plan de New York en 1923 – imaginaires prémonitoires de l’architecture de la Metropolis de Fritz Lang de 1927, des dessins d’Antonio Sant’Elia pour la Città Nuova de 1914, si couramment cités par les jeunes architectes radicaux, ou encore de la Rush City de Richard Neutra de 1923, de la Hochhausstadt de Ludwig Hilberseimer de 1924, du plan Obus pour la ville d’Alger de Le Corbusier de 1930 ou enfin de la ville sur deux niveaux organisant verticalement les services et les groupes par une stratification sociale déjà imaginée par Léonard de Vinci en  1490 – l’ensemble de ces projets visionnaires était déjà devenu le paradigme d’une nouvelle conception de la métropole.

Harvey Wiley Corbett, City of the Future, 1913

[ insula et ségrégation ]

 Ainsi, ces utopies du début du siècle, prémisses des avant-gardes des années 1960-1970, dont les « bâtiments-infrastructures » développés notamment en Grande-Bretagne, ont montré le potentiel d’urbanité et de densité métropolitaines que la démultiplication du sol urbain pouvait générer.
Cette époque voit aussi l’essor du trafic automobile provoquer l’invention de dispositifs architecturaux de ségrégation des flux, au premier rang desquels figure l’urbanisme sur dalle. Plus qu’une simple volonté d’intensification urbaine par la démultiplication du sol, la dalle vise un idéal d’efficacité et de sécurité dans la séparation des déplacements piétons et automobiles. Plus qu’une simple stratification verticale, la dalle impose un nouveau niveau de référence dans la ville, déconnecté du sol urbain.


Traffic in Town, [dit « rapport Buchanan » ], vue d’une rénovation complète d’un périmètre au centre de Londres dessinée par Kenneth Browne, 1963

Cette ségrégation fonctionnelle sur le plan vertical confère à la dalle une valeur d’isolat urbain, évacuant toute mixité ou densification potentielle dans « l’épaisseur » du dispositif.
Point érogène de la ville, île déserte dans l’archipel métropolitain, véritable insula : toutes les conditions sont rassemblées pour maitriser le développement de l’éprouvette géante qu’est la dalle, lui conférant une certaine autonomie voire une immunisation du tissu urbain de la ville.

 « Ce n’est pas le fruit du hasard si Le ParK se trouve sur une île. Depuis un siècle, toutes les grandes innovations qui ont bouleversé le cours de l’Histoire ont eu pour cadre cet espace si particulier : Coney Island, Mururoa, la cité Prora, Singapour. Nous ne sommes pas les premiers à l’affirmer. Tous ceux qui se sont intéressés de près au progrès technique et moral de l’humanité ont fait peu ou prou le même constat. Il faut dire que la situation géographique de l’île sollicite l’esprit en quête de vérité. Son isolement et sa séparation offrent, à l’image d’un cloître érémitique, des conditions propices à la pure exploration mentale. L’île figure une sorte de cerveau d’objectivité. Il n’est donc pas étonnant que les penseurs de l’utopie aient très souvent situé le résultat de leurs élucubrations sur cette portion de terre isolée, à l’écart des continents et des hommes. L’insularité aiguise l’imagination. Elle lui donne un cadre fixe et limité où elle peut inventer des situations fictives. Sa vertu réparatrice rend possible tout nouveau départ. L’isolement agit comme une page blanche » [11].

 A l’instar de l’île du ParK, la dalle constitue le socle de sa réussite. Pourtant, c’est sa nature même de socle, suscitée par la ségrégation des flux, où les bâtiments sont posés comme autonomes, qui fait de la dalle une enclave, véritable fracture dans la ville, malgré les ressources qu’elle engendre. Comment expliquer alors son potentiel comme outil primordial et fécond pour la métropole ?
Parmi ces hauts lieux singuliers, la vaste dalle de La Défense constitue un objet métropolitain remarquable, mêlant architecture et forme urbaine, bâtiments et infrastructures sur trente hectares de sol artificiel. Et si en effet la rupture est nette avec son environnement direct, La Défense, depuis sa construction dans les 1960, s’est constitué comme une grande polarité de la métropole parisienne. Son rayonnement a ainsi muté d’un dialogue presque exclusif avec la capitale – opération de prolongement de l’axe historique, elle a entretenu un rapport fondateur avec le centre de Paris – à une conversation avec les multiples points érogènes de l’Ouest parisien. Pourtant, elle assume sa véritable nature – un géant métropolitain isolé dans son territoire d’accueil.

[ dystopie contemporaine ]

Si l’urbanisme sur dalle fut la raison d’un large traumatisme urbain, surtout lorsque ces artefacts étaient implantés dans les centres historiques, la critique contemporaine dénonce davantage le caractère obsolète et la véritable coupure urbaine que les dalles ont suscité. La conservation des bâtiments-infrastructures sur dalle est aujourd’hui devenu un enjeu majeur, où le débat s’anime entre nostalgiques de la ville traditionnelle et défenseurs d’un patrimoine moderne.
Ainsi, l’opération hors-norme qu’est La Défense fascine tout autant qu’elle repousse. L’OMA le dit d’ailleurs très bien dans son projet pour la mission Grand Axe de 1991 : « this is La Défense, the office-city that nobody really likes but that has one undeniable virtue… » [12].


OMA, Proposition pour la Mission Grand Axe, La Défense, 1991, extrait de [Rem Koolhaas, S,M,L,XL, New York, Monacelli Press, 1995]

L’implantation de la dalle, lancée en 1958 par l’Etat avec la création de l’Etablissement Public pour l’Aménagement de la Défense (EPAD), fut en effet une expérience de table rase traumatisante pour ses villes d’accueil. A titre d’exemple, pas moins d’un quart de la commune de Puteaux est rasé pour faire place au chantier du nouveau quartier d’affaires. L’histoire du territoire d’accueil de La Défense est ainsi éclipsée au profit du développement de cette île, cristallisation de l’extension du centre de Paris.
Et si le propre de l’île est son autonomie, La Défense est-elle vraiment autonome ? Cette présomption est largement à nuancer, d’abord par le rôle que la capitale – ville mère – joue dans le dialogue entre Paris et son quartier d’affaires à La Défense. Ensuite, par l’émergence de nouveaux territoires de projets dans l’Ouest parisien, comme la boucle des Hauts-de-Seine, Val-de-Seine élargi ou la vallée scientifique de la Bièvre, qui encre cet isolat dans un système métropolitain.
Ainsi, La Défense est un géant cluster financier parmi d’autres pôles d’activités, élément crucial des logiques métropolitaines dont Cergy, Gennevilliers, Issy-les-Moulineaux et Boulogne font partie, et notamment le Quartier Central des Affaires de Paris (QCA), pôle complémentaire du quartier d’affaire sur dalle.
Dans cette perspective multipolaire, La Défense assume une forte identité monofonctionnelle, celle de pôle économique majeur en Ile-de-France. Si son implantation a été une réponse aux besoins de bureaux dans les années 1960, elle a parfaitement joué son rôle. Le quartier d’affaires de La Défense est aujourd’hui le deuxième pôle d’emplois après Paris : il génère 360 000 emplois et 3,5 millions de m2 de bureaux, derrière les 1,7 millions d’emplois et 16,5 millions de m2 de bureaux créés par la capitale.
Pourtant, La Défense perd de sa vitesse, et un plan pour relancer sa croissance est lancé par l’EPAD en 2005. Les deux organismes EPAD et EPASA se regroupent en 2010 pour former l’EPADESA, Etablissement Public d’Aménagement de la Défense Seine-Arche.
La monofonctionnalité de la dalle traduit aujourd’hui son problème majeur : le manque de mixité sociale et programmatique en font un quartier d’affaires de nature métropolitaine le jour mais qui, la nuit, s’effondre radicalement. La question du renouvellement des usages de ces surfaces de sol artificiel se pose alors dans la perspective des temporalités du développement futur de La Défense.

[ extrapolation du réel ]

Dans ce contexte d’une architecture au croisement des tensions entre différentes attitudes face à l’urbanisme, quelle position adopter pour faire projet ?
L’approche par les temporalités du site semble pertinente. Si le programme du jour consiste en la production des richesses sur le territoire, la nuit – négatif du jour – et plus particulièrement aux moments charnières où le jour devient la nuit et la nuit devient le jour, c’est l’entretien de cette production qui se produit sur la dalle.
Dr. Jekyll versus Mr. Hyde, par la stimulation de cette dualité et le détournement de la schizophrénie de la nuit sur le jour, l’implantation d’une nouvelle intensité programmatique qui serait active la nuit et entretenue le jour inverse les rôles – c’est la nuit qui invente désormais le jour.


Fredric March, Dr. Jekyll and Mr. Hyde, 1931

La nuit apparaît ainsi comme une temporalité au potentiel prometteur pour « réussir » la dalle rétroactivement, quand celle-ci est plus que saturée par le programme économique monofonctionnel du jour.
La nuit, moment d’absurdité la plus totale où l’aura métropolitaine du géant implose pour laisser place à un village fantôme – effondrement radical et profond.
Cet abandon nocturne introduit la temporalité de la nuit comme un décapsuleur au potentiel prometteur pour La Défense. Véritable outil de projet métropolitain, la nuit – métaphore du réel – est pensée comme temporalité capable de réactiver le potentiel de la dalle par un déclencheur programmatique. Le projet ne se place donc pas dans la simulation du réel, mais plutôt dans son extrapolation.

Parmi la classification – ou cartographie – des stratégies structurantes qui composent l’urbanisme contemporain établie par Françoise Fromonot – urbanisme de composition, de révélation ou de programmation, et enfin l’existence possible d’un urbanisme de révélation programmatique – cette dernière posture, qui fusionne deux manières inverses d’aborder un projet, semble correspondre à une projection du réel par extrapolation.

« La réalité actuelle, héritage d’une utopie passée, [devient] le motif de sa propre transformation par détournement de ce qui fait son identité même » [13].


OMA, XDGA, One Architecture, Proposition pour le concours du Forum des Halles, Paris, 2003

En faisant le commentaire du projet pour le réaménagement du quartier des Halles proposé par OMA, Xaveer de Geyter Architects et One Architecture de 2003, Françoise Fromonot poursuit : cette hybridation entre la réalité du site et sa « nécessaire transformation programmatique sans formellement recourir à la médiation d’espaces publics formellement préconçus » [14] offre « la possibilité d’un développement proactif du programme qui serait également un manifeste rétroactif du site » [15]. Le projet, qui s’articule ainsi dans une dialectique fine et immédiate entre site et programme par révélation programmatique me semble tout-à-fait pertinent pour le cas de La Défense, icône d’une utopie passée.
Cet urbanisme de négociation qui « engendrerait le site par le programme et le programme par le site » [16] permettrait alors de transformer les usages du territoire « en retournant ses problèmes pour en faire des atouts, s’adossant pour cela au programme qu’il recèle »[17].
La dimension d’extrapolation du réel ferait ainsi réagir la spécificité physique du socle de La Défense avec sa programmation dans le temps, pour « réveiller l’inconscient de la dalle ».

[ détournement rétroactif ]

Ce détournement de l’identité du territoire par le développement proactif du programme et le manifeste rétroactif du site convertit la dalle, stratification bidimensionnelle des surfaces, en un potentiel d’épaisseur programmatique. La métamorphose de cette entité urbaine révèle à la fois les latences et les ressources subconscientes du dispositif, sol urbain artificiel aujourd’hui essentiellement minéral.
Détourner le programme de La Défense dans sa temporalité nocturne pour parer au déficit d’urbanité lié à sa mono-fonctionnalité journalière –  c’est activer la nuit afin de mieux réinventer le jour.
Mais comment reprogrammer les surfaces de la dalle La Défense ?
Au moment où la ville contemporaine doit composer avec l’implantation de grands programmes publics ou commerciaux « phagocyteurs » d’espace, la dalle apparaît comme un potentiel prometteur. Pourtant, celle-ci se voit déjà saturée à l’extrême par la production de richesses quotidienne qui asphyxie sa surface.
A la fois bâtiment et infrastructure, la dalle est aujourd’hui un hyperbuilding [18], terme introduit par Koolhaas à l’occasion d’un projet de bâtiment multifonctionnel à Séoul, puis justement réutilisé par l’OMA dans son étude urbaine sur La Défense. L’enjeu consiste alors à désenclaver ce territoire, coupé de toute connexion avec ses villes d’accueil.
Quel type de programme serait alors capable, en activant une nouvelle temporalité que serait la nuit, à la fois de réinsérer ce quartier d’affaires dans le tissu de l’Ouest parisien tout en évitant de surcharger davantage sa dynamique de jour, mais plutôt dans l’optique de la régénérer ?

[ effondrement et subconscient ]

Plutôt qu’un urbanisme de production et d’extension, Koolhaas énonce le glissement vers un urbanisme de recyclage dans l’article de 1994, What ever happened to urbanism. Par cette posture, en écho à l’idée de négociation par révélation programmatique de Françoise Fromonot, Koolhaas prédit déjà un nouvel urbanisme : « il ne s’occupera plus d’agencer des objets plus ou moins permanents mais d’irriguer des territoires par du potentiel ; il ne visera plus des configurations stables mais la création de champs capables d’accueillir des processus qui refusent d’être cristallisés sous forme définitive ; il ne visera plus à définir précisément, à imposer des limites, mais à élargir des notions en niant les frontières, il ne cherchera plus à séparer et à identifier des entités, mais à découvrir des hybrides innommables » [19]. Il ne s’agit donc plus de planifier des architectures finies et immobiles, mais davantage de suggérer les potentiels subconscients du site et d’insuffler une force capable de les déployer. Koolhaas poursuit avec la distinction entre une idée de degré ou de nature :

 « Puisque l’urbain est maintenant omniprésent, l’urbanisme ne traitera plus jamais du ‘nouveau’ mais seulement du ‘plus’ et du ‘modifié’. Puisque l’urbain est incontrôlable, il est en passe de devenir un vecteur majeur de l’imagination » [20].

Plutôt que d’intervenir sur la nature fondamentale de l’objet, Koolhaas préconise par son urbanisme de recyclage, un changement en terme de degré, c’est-à-dire l’extension, l’adaptation ou l’arrangement de l’existant. En considérant le territoire métropolitain dans son ensemble, l’AUC évoque à son tour l’importance de cette distinction : « à l’échelle d’un organisme aussi complexe, en transformation permanente et non maitrisable dans sa globalité, c’est plutôt sur une série d’ajustements graduels et progressifs qu’il faut compter, que sur une transformation en bloc ou une réorientation radicale » [21]. L’action de détourner pour faire projet devient alors d’autant plus pertinente.
Pourtant, si La Défense se collapse toutes les nuits, sa profonde retraite n’est ni un changement de degrés, ni un changement de nature, mais un véritable effondrement quotidien de son statut métropolitain. Le projet tend alors à se rapprocher d’un programme hybride, capable d’irriguer le sol artificiel de la dalle par de nouveaux potentiels susceptibles de parer à cet effondrement nocturne.

[ métabolisme et prototype fédérateur ]

Dans la perspective d’un détournement du métabolisme propre à la dalle de La Défense, le braqué du développement durable me semble pertinent.
Bien avant qu’une prise de conscience globalisée ne soit avérée, l’invention précoce d’une énergie gratuite par l’ingénieur Nikola Tesla avait déjà révolutionné la réflexion sur la production de l’énergie – prémonitoire des énergies renouvelables. Lors d’une conférence à New York en 1892, Tesla expose pour la première fois sa découverte de l’énergie libre : « Dans quelques générations nos machines seront propulsées par cette énergie disponible à tout endroit de l’univers. […] Dans l’espace il y a une forme d’énergie. Est-elle statique ou cinétique ? Si elle est statique, toutes nos recherches auront été vaines. Si elle est cinétique – et nous savons qu’elle l’est –, ce n’est qu’une question de temps, et l’humanité aura mis en harmonie ses techniques énergétiques avec les grands rouages de la nature »[22].
Tesla prédit déjà l’hypothèse d’une production du courant par la seule énergie du milieu environnant, prémisse d’une économie du développement durable.


Nikola Tesla devant les éclairs produits par le transformateur qui porte son nom, Laboratoire de Colorado Springs, 1892

Dans le contexte de l’après Kyoto, l’AUC évoque la prise de conscience collective du « caractère épuisable des ressources » et du potentiel des nouvelles énergies basées sur un développement soutenable, qui « marque sans doute un nouveau glissement de la condition métropolitaine »[23], et poursuit :

« L’après Kyoto, considéré comme un nouveau contexte, dans lequel s’annonce la fin du pétrole, inscrit aussi les questions métropolitaines dans une dimension globalisée : qu’est-ce que la ville post-carbone ? comment s’y déplacer, y habiter, y consommer ? à quoi y travailler et dans quels espaces ? quel rapport y établir entre ville et nature ? doit-elle être compacte ou diffuse ? comment doit-elle être planifiée, mise en œuvre, administrée et quel poids y prennent ses citoyens ou ses habitants dans ces dispositifs ? »[24]

Cette réflexion pose la question du devenir de la société, de l’économie et de l’environnement en tenant compte de l’échelle du temps, c’est-à-dire dans un futur à la fois proche et lointain, ainsi que de l’évolution des trois piliers sur lesquels repose le développement durable – l’écologique, l’économique et le social.
Et si l’économie en place, basée sur les énergies fossiles, se voit peu à peu remplacée par une économie des énergies soutenables, braquer le développement durable comme élément structurant permet de détourner et reconfigurer la grande machine urbaine qu’est La Défense.
Réinterroger l’espace public, libérer de nouvelles opportunités de pratiques, insérer cet isolat dans son territoire – autant de potentiels stimulés par cette posture sensible qui ne relève ni de la science-fiction, ni de la simplification, ni de la démission face aux enjeux de la condition métropolitaine.
La nuit, effondrement perpétuel – autant éphémère que radical – de la puissance de la dalle, serait-elle prémonitoire du déclin progressif des grandes industries aujourd’hui dominantes, laissant place peu à peu à l’émergence de nouvelles technologies durables ?
Le développement durable comme élément structurant pour faire projet semble avant tout légitime dans la mesure où il permettrait de « réussir » le territoire de La Défense, de « réveiller l’inconscient de la dalle » de manière rétroactive, en activant sa temporalité nocturne jusqu’alors endormie, et confrontant celle-ci à son activité diurne monofonctionnelle.
Et si l’AUC s’interroge sur la nature même de la métropole : « plus qu’un écosystème, [n’est-elle pas davantage] un métabolisme ? » [25], La Défense doit-elle être pensée comme un microclimat ?
Pour Bruno Latour :

« L’écologie n’a rien à voir avec la prise en compte de la nature, de ses intérêts et de ses buts propres, mais […] elle est plutôt une autre façon de tout considérer. Ecologiser une question, un objet, une donnée, ce n’est pas le remettre dans son contexte, lui créer un écosystème, c’est l’opposer, terme à terme, à une autre activité, poursuivie depuis trois siècles, et que l’on appelle, faute d’un meilleur terme, modernisation » [26] .

Le projet suggère alors de détourner le métabolisme énergétique de La Défense, par un processus qui remplace peu à peu les énergies fossiles par des énergies renouvelables – ou recyclables –,  rappelant la production de l’énergie libre de Tesla. La création de nouvelles centralités confère alors à la dalle le statut de prototype fédérateur : plus elle produit de nouvelles énergies, plus ce processus est en mesure de s’intensifier et de s’étendre de manière autonome. Ce métabolisme détourné établit ainsi de nouvelles relations hybrides, énergétiques et végétales, et se déploie au-delà des frontières de la dalle vers les espaces naturels alentours, du parc Diderot de Courbevoie limitrophe au parc André Malraux de Nanterre ou encore à l’île de Puteaux, voire jusqu’au bois de Boulogne. Prototype fédérateur, le projet devient un véritable modèle à répliquer pour les développements territoriaux d’autres espaces émergents, dont les nombreuses dalles d’Ile-de-France.

Maya Nemeta


[1] Rem Koolhaas, Magdelon Vriesendorp, Elia Zenghelis et Zoe Zenghelis.

[2] AUC, La Métropole du XXIe Siècle de l’Après-Kyoto, Le Grand Pari de l’Agglomération Parisienne, Consultation Internationale pour l’Avenir du Paris Métropolitain, 2008, p.5.

[3] Idem, p.17.

[4] Rem Koolhaas, « What Ever Happened to Urbanism », in Criticat, n°8, sept. 2011, p.83.

[5] AUC, La Métropole du XXIe Siècle de l’Après-Kyoto, op. cit., p.5.

[6] Charles-Antoine Perreault, « De la Dalle à l’Hyperbâtiment, Métamorphose de la Cité Administrative de l’Etat à Bruxelles », dans Marnes, Documents d’architecture, n°1, Paris, Editions de La Villette, jan. 2011, pp.132-155, p.133.

[7] Rem Koolhaas, New York Délire, Le Chêne, 1978, réed., Marseille, Parenthèses, 2002, p. 122.

[8] Roberto Gargiani, Rem Koolhaas, OMA, The Construction of Merveilles, Lausanne, EPFL Press, 2008, p.85.

[9] Rem Koolhaas, New York Délire, op. cit., p. 122.

[10] Id., pp. 109-116.

[11] Bruce Bégout, Le ParK, Paris, Editions Allia, 2010, p.29.

[12] Rem Koolhaas, S,M,L,XL, New York, Monacelli Press, 1995.

[13] Françoise Fromonot, « Manières de classer l’urbanisme », in Criticat, n°8, sept. 2011, p.58.

[14] Id., p.55.

[15] Ibidem, p.58.

[16] Ibid., p.55.

[17] Ibid., p.58.

[18] Rem Koolhaas / OMA, Content, Cologne, Editions Taschen, 2004, p.421.

[19] Rem Koolhaas, « What Ever Happened to Urbanism », op. cit., p.82.

[20] Id., p.83.

[21] AUC, La Métropole du XXIe Siècle de l’Après-Kyoto, op. cit., p.7.

[22] New York Times, 21 mai 1891, p.10.

[23] AUC, La Métropole du XXIe Siècle de l’Après-Kyoto, op. cit., p.6.

[24] Id., p.7.

[25] Ibid., p.6.

[26] Ibid., pp.15-16.

Analyse et manifeste Seine-Oise.

Confluence Seine

Manifeste Anna Moreau

Manifeste

LOUTRES EN SEINE

Julia Winding

Analyse et manifeste / l’Axe Historique

Manifeste Shéerazade

Tatienne

Flyer équation: (a+b+c)=?

Une étudiante en architecture dans la nuit…!

a : point de ralliement
b : la nuit rentable « bankable night »!
c : Quand la nuit transforme les centralités métropolitaines…

Lorsqu'une demande particulière rencontre une offre particulière on trouve un territoire loin de nos pensées!

Métaphore de la nuit: un pas de côté du jour.
On voit ce que l’on ne voit pas, on rencontre ce que l’on ne prend pas le temps de rencontrer, on attend comme on a jamais attendu, on est plus que ce qu’on a jamais été, la nuit est un pas de côté du jour. Il suffit de faire un pas de côté dans la nuit pour trouver une nouvelle échelle, une nouvelle liberté, un nouveau territoire…

Et si on faisait un pas de côté...?

Du début à la résolution...?

Manifeste

Manifeste P9

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