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Micro-climats nocturnes pour un détournement des épaisseurs de la dalle de La Défense

Maya Nemeta

LA DEFENSE

Maya Nemeta

Micro-climats nocturnes pour un détournement des épaisseurs de la dalle de La Défense

Maya Nemeta

MANIFESTE [ utopie prospective pour la défense. vers un métabolisme du développement durable ]

[ utopies du sol ]

La prédiction, dès les années 1970-1980, d’une culture de la congestion annoncée par Koolhaas et les membres fondateurs de l’OMA [1] a imposé la « condition métropolitaine » comme thème incontournable de la théorie architecturale contemporaine.
Récemment, dans sa réflexion pour la consultation internationale du Grand Paris, l’AUC revient sur les « glissements » [2] identifiés comme à l’origine du passage successif de la grande ville (européenne) à la métropole (occidentale) pour muter enfin vers une condition métropolitaine (mondialisée) [3]. Parmi ces transitions, la pensée de Rem Koolhaas, protagoniste essentiel, est cristallisée dans son article What Ever Happened to Urbanism [4] où il constate notamment l’impasse d’interaction entre échelle locale et métropolitaine.
Plus globalement, l’AUC définit la métropole non plus comme un « lieu » mais comme une « condition » : « l’archipel métropolitain (…) n’est plus une forme (identifiable par sa limite) mais un ensemble (ou une addition) de situations ». La métropole a donc « besoin d’éléments fondateurs sans cesse renouvelés », « de lieux exceptionnels et reconnaissables sur la carte mondiale » [5].
Le concept koolhaassien de « congestion métropolitaine » est fondé sur une « densité à la fois physique et programmatique » [6]. Cette densité s’appuie sur le principe du gratte-ciel de Manhattan [7], qui pour Koolhaas, créé une démultiplication verticale du sol permettant la superposition d’un nombre quasi-illimité de programmes et d’activités. Les propos de Roberto Gargiani [8] concordent : pour Koolhaas, c’est véritablement le sol, surface au potentiel considérable, capable de supporter tout type d’activité humaine, à l’instar des étendues fantastiques de Superstudio, qui est l’élément primordial de la condition métropolitaine.


Ludwig Hilberseimer, Ville verticale, 1924

Ce rêve de démultiplication d’un sol artificiel projeté, générateur d’urbanité, renvoie à un imaginaire moderniste déjà apparent dans les discours et les projets théoriques du début du XXe siècle. Qu’il s’agisse des projets fantastiques de Lamb de 1908, des multiples couches de la Rue Future d’Eugène Hénard de 1910, du Manhattan futuriste de Harvey Wiley Corbett de 1913 rétrospectivement cité par Koolhaas dans New York Délire [9], où les voies de circulation automobiles et piétonnes se superposent, noyant la base des gratte-ciel dans un tissu continu, des représentations de Hugh Ferris accompagnant les propositions de Corbett pour la loi de zonage de 1916 [10] ou le Regional Plan de New York en 1923 – imaginaires prémonitoires de l’architecture de la Metropolis de Fritz Lang de 1927, des dessins d’Antonio Sant’Elia pour la Città Nuova de 1914, si couramment cités par les jeunes architectes radicaux, ou encore de la Rush City de Richard Neutra de 1923, de la Hochhausstadt de Ludwig Hilberseimer de 1924, du plan Obus pour la ville d’Alger de Le Corbusier de 1930 ou enfin de la ville sur deux niveaux organisant verticalement les services et les groupes par une stratification sociale déjà imaginée par Léonard de Vinci en  1490 – l’ensemble de ces projets visionnaires était déjà devenu le paradigme d’une nouvelle conception de la métropole.

Harvey Wiley Corbett, City of the Future, 1913

[ insula et ségrégation ]

 Ainsi, ces utopies du début du siècle, prémisses des avant-gardes des années 1960-1970, dont les « bâtiments-infrastructures » développés notamment en Grande-Bretagne, ont montré le potentiel d’urbanité et de densité métropolitaines que la démultiplication du sol urbain pouvait générer.
Cette époque voit aussi l’essor du trafic automobile provoquer l’invention de dispositifs architecturaux de ségrégation des flux, au premier rang desquels figure l’urbanisme sur dalle. Plus qu’une simple volonté d’intensification urbaine par la démultiplication du sol, la dalle vise un idéal d’efficacité et de sécurité dans la séparation des déplacements piétons et automobiles. Plus qu’une simple stratification verticale, la dalle impose un nouveau niveau de référence dans la ville, déconnecté du sol urbain.


Traffic in Town, [dit « rapport Buchanan » ], vue d’une rénovation complète d’un périmètre au centre de Londres dessinée par Kenneth Browne, 1963

Cette ségrégation fonctionnelle sur le plan vertical confère à la dalle une valeur d’isolat urbain, évacuant toute mixité ou densification potentielle dans « l’épaisseur » du dispositif.
Point érogène de la ville, île déserte dans l’archipel métropolitain, véritable insula : toutes les conditions sont rassemblées pour maitriser le développement de l’éprouvette géante qu’est la dalle, lui conférant une certaine autonomie voire une immunisation du tissu urbain de la ville.

 « Ce n’est pas le fruit du hasard si Le ParK se trouve sur une île. Depuis un siècle, toutes les grandes innovations qui ont bouleversé le cours de l’Histoire ont eu pour cadre cet espace si particulier : Coney Island, Mururoa, la cité Prora, Singapour. Nous ne sommes pas les premiers à l’affirmer. Tous ceux qui se sont intéressés de près au progrès technique et moral de l’humanité ont fait peu ou prou le même constat. Il faut dire que la situation géographique de l’île sollicite l’esprit en quête de vérité. Son isolement et sa séparation offrent, à l’image d’un cloître érémitique, des conditions propices à la pure exploration mentale. L’île figure une sorte de cerveau d’objectivité. Il n’est donc pas étonnant que les penseurs de l’utopie aient très souvent situé le résultat de leurs élucubrations sur cette portion de terre isolée, à l’écart des continents et des hommes. L’insularité aiguise l’imagination. Elle lui donne un cadre fixe et limité où elle peut inventer des situations fictives. Sa vertu réparatrice rend possible tout nouveau départ. L’isolement agit comme une page blanche » [11].

 A l’instar de l’île du ParK, la dalle constitue le socle de sa réussite. Pourtant, c’est sa nature même de socle, suscitée par la ségrégation des flux, où les bâtiments sont posés comme autonomes, qui fait de la dalle une enclave, véritable fracture dans la ville, malgré les ressources qu’elle engendre. Comment expliquer alors son potentiel comme outil primordial et fécond pour la métropole ?
Parmi ces hauts lieux singuliers, la vaste dalle de La Défense constitue un objet métropolitain remarquable, mêlant architecture et forme urbaine, bâtiments et infrastructures sur trente hectares de sol artificiel. Et si en effet la rupture est nette avec son environnement direct, La Défense, depuis sa construction dans les 1960, s’est constitué comme une grande polarité de la métropole parisienne. Son rayonnement a ainsi muté d’un dialogue presque exclusif avec la capitale – opération de prolongement de l’axe historique, elle a entretenu un rapport fondateur avec le centre de Paris – à une conversation avec les multiples points érogènes de l’Ouest parisien. Pourtant, elle assume sa véritable nature – un géant métropolitain isolé dans son territoire d’accueil.

[ dystopie contemporaine ]

Si l’urbanisme sur dalle fut la raison d’un large traumatisme urbain, surtout lorsque ces artefacts étaient implantés dans les centres historiques, la critique contemporaine dénonce davantage le caractère obsolète et la véritable coupure urbaine que les dalles ont suscité. La conservation des bâtiments-infrastructures sur dalle est aujourd’hui devenu un enjeu majeur, où le débat s’anime entre nostalgiques de la ville traditionnelle et défenseurs d’un patrimoine moderne.
Ainsi, l’opération hors-norme qu’est La Défense fascine tout autant qu’elle repousse. L’OMA le dit d’ailleurs très bien dans son projet pour la mission Grand Axe de 1991 : « this is La Défense, the office-city that nobody really likes but that has one undeniable virtue… » [12].


OMA, Proposition pour la Mission Grand Axe, La Défense, 1991, extrait de [Rem Koolhaas, S,M,L,XL, New York, Monacelli Press, 1995]

L’implantation de la dalle, lancée en 1958 par l’Etat avec la création de l’Etablissement Public pour l’Aménagement de la Défense (EPAD), fut en effet une expérience de table rase traumatisante pour ses villes d’accueil. A titre d’exemple, pas moins d’un quart de la commune de Puteaux est rasé pour faire place au chantier du nouveau quartier d’affaires. L’histoire du territoire d’accueil de La Défense est ainsi éclipsée au profit du développement de cette île, cristallisation de l’extension du centre de Paris.
Et si le propre de l’île est son autonomie, La Défense est-elle vraiment autonome ? Cette présomption est largement à nuancer, d’abord par le rôle que la capitale – ville mère – joue dans le dialogue entre Paris et son quartier d’affaires à La Défense. Ensuite, par l’émergence de nouveaux territoires de projets dans l’Ouest parisien, comme la boucle des Hauts-de-Seine, Val-de-Seine élargi ou la vallée scientifique de la Bièvre, qui encre cet isolat dans un système métropolitain.
Ainsi, La Défense est un géant cluster financier parmi d’autres pôles d’activités, élément crucial des logiques métropolitaines dont Cergy, Gennevilliers, Issy-les-Moulineaux et Boulogne font partie, et notamment le Quartier Central des Affaires de Paris (QCA), pôle complémentaire du quartier d’affaire sur dalle.
Dans cette perspective multipolaire, La Défense assume une forte identité monofonctionnelle, celle de pôle économique majeur en Ile-de-France. Si son implantation a été une réponse aux besoins de bureaux dans les années 1960, elle a parfaitement joué son rôle. Le quartier d’affaires de La Défense est aujourd’hui le deuxième pôle d’emplois après Paris : il génère 360 000 emplois et 3,5 millions de m2 de bureaux, derrière les 1,7 millions d’emplois et 16,5 millions de m2 de bureaux créés par la capitale.
Pourtant, La Défense perd de sa vitesse, et un plan pour relancer sa croissance est lancé par l’EPAD en 2005. Les deux organismes EPAD et EPASA se regroupent en 2010 pour former l’EPADESA, Etablissement Public d’Aménagement de la Défense Seine-Arche.
La monofonctionnalité de la dalle traduit aujourd’hui son problème majeur : le manque de mixité sociale et programmatique en font un quartier d’affaires de nature métropolitaine le jour mais qui, la nuit, s’effondre radicalement. La question du renouvellement des usages de ces surfaces de sol artificiel se pose alors dans la perspective des temporalités du développement futur de La Défense.

[ extrapolation du réel ]

Dans ce contexte d’une architecture au croisement des tensions entre différentes attitudes face à l’urbanisme, quelle position adopter pour faire projet ?
L’approche par les temporalités du site semble pertinente. Si le programme du jour consiste en la production des richesses sur le territoire, la nuit – négatif du jour – et plus particulièrement aux moments charnières où le jour devient la nuit et la nuit devient le jour, c’est l’entretien de cette production qui se produit sur la dalle.
Dr. Jekyll versus Mr. Hyde, par la stimulation de cette dualité et le détournement de la schizophrénie de la nuit sur le jour, l’implantation d’une nouvelle intensité programmatique qui serait active la nuit et entretenue le jour inverse les rôles – c’est la nuit qui invente désormais le jour.


Fredric March, Dr. Jekyll and Mr. Hyde, 1931

La nuit apparaît ainsi comme une temporalité au potentiel prometteur pour « réussir » la dalle rétroactivement, quand celle-ci est plus que saturée par le programme économique monofonctionnel du jour.
La nuit, moment d’absurdité la plus totale où l’aura métropolitaine du géant implose pour laisser place à un village fantôme – effondrement radical et profond.
Cet abandon nocturne introduit la temporalité de la nuit comme un décapsuleur au potentiel prometteur pour La Défense. Véritable outil de projet métropolitain, la nuit – métaphore du réel – est pensée comme temporalité capable de réactiver le potentiel de la dalle par un déclencheur programmatique. Le projet ne se place donc pas dans la simulation du réel, mais plutôt dans son extrapolation.

Parmi la classification – ou cartographie – des stratégies structurantes qui composent l’urbanisme contemporain établie par Françoise Fromonot – urbanisme de composition, de révélation ou de programmation, et enfin l’existence possible d’un urbanisme de révélation programmatique – cette dernière posture, qui fusionne deux manières inverses d’aborder un projet, semble correspondre à une projection du réel par extrapolation.

« La réalité actuelle, héritage d’une utopie passée, [devient] le motif de sa propre transformation par détournement de ce qui fait son identité même » [13].


OMA, XDGA, One Architecture, Proposition pour le concours du Forum des Halles, Paris, 2003

En faisant le commentaire du projet pour le réaménagement du quartier des Halles proposé par OMA, Xaveer de Geyter Architects et One Architecture de 2003, Françoise Fromonot poursuit : cette hybridation entre la réalité du site et sa « nécessaire transformation programmatique sans formellement recourir à la médiation d’espaces publics formellement préconçus » [14] offre « la possibilité d’un développement proactif du programme qui serait également un manifeste rétroactif du site » [15]. Le projet, qui s’articule ainsi dans une dialectique fine et immédiate entre site et programme par révélation programmatique me semble tout-à-fait pertinent pour le cas de La Défense, icône d’une utopie passée.
Cet urbanisme de négociation qui « engendrerait le site par le programme et le programme par le site » [16] permettrait alors de transformer les usages du territoire « en retournant ses problèmes pour en faire des atouts, s’adossant pour cela au programme qu’il recèle »[17].
La dimension d’extrapolation du réel ferait ainsi réagir la spécificité physique du socle de La Défense avec sa programmation dans le temps, pour « réveiller l’inconscient de la dalle ».

[ détournement rétroactif ]

Ce détournement de l’identité du territoire par le développement proactif du programme et le manifeste rétroactif du site convertit la dalle, stratification bidimensionnelle des surfaces, en un potentiel d’épaisseur programmatique. La métamorphose de cette entité urbaine révèle à la fois les latences et les ressources subconscientes du dispositif, sol urbain artificiel aujourd’hui essentiellement minéral.
Détourner le programme de La Défense dans sa temporalité nocturne pour parer au déficit d’urbanité lié à sa mono-fonctionnalité journalière –  c’est activer la nuit afin de mieux réinventer le jour.
Mais comment reprogrammer les surfaces de la dalle La Défense ?
Au moment où la ville contemporaine doit composer avec l’implantation de grands programmes publics ou commerciaux « phagocyteurs » d’espace, la dalle apparaît comme un potentiel prometteur. Pourtant, celle-ci se voit déjà saturée à l’extrême par la production de richesses quotidienne qui asphyxie sa surface.
A la fois bâtiment et infrastructure, la dalle est aujourd’hui un hyperbuilding [18], terme introduit par Koolhaas à l’occasion d’un projet de bâtiment multifonctionnel à Séoul, puis justement réutilisé par l’OMA dans son étude urbaine sur La Défense. L’enjeu consiste alors à désenclaver ce territoire, coupé de toute connexion avec ses villes d’accueil.
Quel type de programme serait alors capable, en activant une nouvelle temporalité que serait la nuit, à la fois de réinsérer ce quartier d’affaires dans le tissu de l’Ouest parisien tout en évitant de surcharger davantage sa dynamique de jour, mais plutôt dans l’optique de la régénérer ?

[ effondrement et subconscient ]

Plutôt qu’un urbanisme de production et d’extension, Koolhaas énonce le glissement vers un urbanisme de recyclage dans l’article de 1994, What ever happened to urbanism. Par cette posture, en écho à l’idée de négociation par révélation programmatique de Françoise Fromonot, Koolhaas prédit déjà un nouvel urbanisme : « il ne s’occupera plus d’agencer des objets plus ou moins permanents mais d’irriguer des territoires par du potentiel ; il ne visera plus des configurations stables mais la création de champs capables d’accueillir des processus qui refusent d’être cristallisés sous forme définitive ; il ne visera plus à définir précisément, à imposer des limites, mais à élargir des notions en niant les frontières, il ne cherchera plus à séparer et à identifier des entités, mais à découvrir des hybrides innommables » [19]. Il ne s’agit donc plus de planifier des architectures finies et immobiles, mais davantage de suggérer les potentiels subconscients du site et d’insuffler une force capable de les déployer. Koolhaas poursuit avec la distinction entre une idée de degré ou de nature :

 « Puisque l’urbain est maintenant omniprésent, l’urbanisme ne traitera plus jamais du ‘nouveau’ mais seulement du ‘plus’ et du ‘modifié’. Puisque l’urbain est incontrôlable, il est en passe de devenir un vecteur majeur de l’imagination » [20].

Plutôt que d’intervenir sur la nature fondamentale de l’objet, Koolhaas préconise par son urbanisme de recyclage, un changement en terme de degré, c’est-à-dire l’extension, l’adaptation ou l’arrangement de l’existant. En considérant le territoire métropolitain dans son ensemble, l’AUC évoque à son tour l’importance de cette distinction : « à l’échelle d’un organisme aussi complexe, en transformation permanente et non maitrisable dans sa globalité, c’est plutôt sur une série d’ajustements graduels et progressifs qu’il faut compter, que sur une transformation en bloc ou une réorientation radicale » [21]. L’action de détourner pour faire projet devient alors d’autant plus pertinente.
Pourtant, si La Défense se collapse toutes les nuits, sa profonde retraite n’est ni un changement de degrés, ni un changement de nature, mais un véritable effondrement quotidien de son statut métropolitain. Le projet tend alors à se rapprocher d’un programme hybride, capable d’irriguer le sol artificiel de la dalle par de nouveaux potentiels susceptibles de parer à cet effondrement nocturne.

[ métabolisme et prototype fédérateur ]

Dans la perspective d’un détournement du métabolisme propre à la dalle de La Défense, le braqué du développement durable me semble pertinent.
Bien avant qu’une prise de conscience globalisée ne soit avérée, l’invention précoce d’une énergie gratuite par l’ingénieur Nikola Tesla avait déjà révolutionné la réflexion sur la production de l’énergie – prémonitoire des énergies renouvelables. Lors d’une conférence à New York en 1892, Tesla expose pour la première fois sa découverte de l’énergie libre : « Dans quelques générations nos machines seront propulsées par cette énergie disponible à tout endroit de l’univers. […] Dans l’espace il y a une forme d’énergie. Est-elle statique ou cinétique ? Si elle est statique, toutes nos recherches auront été vaines. Si elle est cinétique – et nous savons qu’elle l’est –, ce n’est qu’une question de temps, et l’humanité aura mis en harmonie ses techniques énergétiques avec les grands rouages de la nature »[22].
Tesla prédit déjà l’hypothèse d’une production du courant par la seule énergie du milieu environnant, prémisse d’une économie du développement durable.


Nikola Tesla devant les éclairs produits par le transformateur qui porte son nom, Laboratoire de Colorado Springs, 1892

Dans le contexte de l’après Kyoto, l’AUC évoque la prise de conscience collective du « caractère épuisable des ressources » et du potentiel des nouvelles énergies basées sur un développement soutenable, qui « marque sans doute un nouveau glissement de la condition métropolitaine »[23], et poursuit :

« L’après Kyoto, considéré comme un nouveau contexte, dans lequel s’annonce la fin du pétrole, inscrit aussi les questions métropolitaines dans une dimension globalisée : qu’est-ce que la ville post-carbone ? comment s’y déplacer, y habiter, y consommer ? à quoi y travailler et dans quels espaces ? quel rapport y établir entre ville et nature ? doit-elle être compacte ou diffuse ? comment doit-elle être planifiée, mise en œuvre, administrée et quel poids y prennent ses citoyens ou ses habitants dans ces dispositifs ? »[24]

Cette réflexion pose la question du devenir de la société, de l’économie et de l’environnement en tenant compte de l’échelle du temps, c’est-à-dire dans un futur à la fois proche et lointain, ainsi que de l’évolution des trois piliers sur lesquels repose le développement durable – l’écologique, l’économique et le social.
Et si l’économie en place, basée sur les énergies fossiles, se voit peu à peu remplacée par une économie des énergies soutenables, braquer le développement durable comme élément structurant permet de détourner et reconfigurer la grande machine urbaine qu’est La Défense.
Réinterroger l’espace public, libérer de nouvelles opportunités de pratiques, insérer cet isolat dans son territoire – autant de potentiels stimulés par cette posture sensible qui ne relève ni de la science-fiction, ni de la simplification, ni de la démission face aux enjeux de la condition métropolitaine.
La nuit, effondrement perpétuel – autant éphémère que radical – de la puissance de la dalle, serait-elle prémonitoire du déclin progressif des grandes industries aujourd’hui dominantes, laissant place peu à peu à l’émergence de nouvelles technologies durables ?
Le développement durable comme élément structurant pour faire projet semble avant tout légitime dans la mesure où il permettrait de « réussir » le territoire de La Défense, de « réveiller l’inconscient de la dalle » de manière rétroactive, en activant sa temporalité nocturne jusqu’alors endormie, et confrontant celle-ci à son activité diurne monofonctionnelle.
Et si l’AUC s’interroge sur la nature même de la métropole : « plus qu’un écosystème, [n’est-elle pas davantage] un métabolisme ? » [25], La Défense doit-elle être pensée comme un microclimat ?
Pour Bruno Latour :

« L’écologie n’a rien à voir avec la prise en compte de la nature, de ses intérêts et de ses buts propres, mais […] elle est plutôt une autre façon de tout considérer. Ecologiser une question, un objet, une donnée, ce n’est pas le remettre dans son contexte, lui créer un écosystème, c’est l’opposer, terme à terme, à une autre activité, poursuivie depuis trois siècles, et que l’on appelle, faute d’un meilleur terme, modernisation » [26] .

Le projet suggère alors de détourner le métabolisme énergétique de La Défense, par un processus qui remplace peu à peu les énergies fossiles par des énergies renouvelables – ou recyclables –,  rappelant la production de l’énergie libre de Tesla. La création de nouvelles centralités confère alors à la dalle le statut de prototype fédérateur : plus elle produit de nouvelles énergies, plus ce processus est en mesure de s’intensifier et de s’étendre de manière autonome. Ce métabolisme détourné établit ainsi de nouvelles relations hybrides, énergétiques et végétales, et se déploie au-delà des frontières de la dalle vers les espaces naturels alentours, du parc Diderot de Courbevoie limitrophe au parc André Malraux de Nanterre ou encore à l’île de Puteaux, voire jusqu’au bois de Boulogne. Prototype fédérateur, le projet devient un véritable modèle à répliquer pour les développements territoriaux d’autres espaces émergents, dont les nombreuses dalles d’Ile-de-France.

Maya Nemeta


[1] Rem Koolhaas, Magdelon Vriesendorp, Elia Zenghelis et Zoe Zenghelis.

[2] AUC, La Métropole du XXIe Siècle de l’Après-Kyoto, Le Grand Pari de l’Agglomération Parisienne, Consultation Internationale pour l’Avenir du Paris Métropolitain, 2008, p.5.

[3] Idem, p.17.

[4] Rem Koolhaas, « What Ever Happened to Urbanism », in Criticat, n°8, sept. 2011, p.83.

[5] AUC, La Métropole du XXIe Siècle de l’Après-Kyoto, op. cit., p.5.

[6] Charles-Antoine Perreault, « De la Dalle à l’Hyperbâtiment, Métamorphose de la Cité Administrative de l’Etat à Bruxelles », dans Marnes, Documents d’architecture, n°1, Paris, Editions de La Villette, jan. 2011, pp.132-155, p.133.

[7] Rem Koolhaas, New York Délire, Le Chêne, 1978, réed., Marseille, Parenthèses, 2002, p. 122.

[8] Roberto Gargiani, Rem Koolhaas, OMA, The Construction of Merveilles, Lausanne, EPFL Press, 2008, p.85.

[9] Rem Koolhaas, New York Délire, op. cit., p. 122.

[10] Id., pp. 109-116.

[11] Bruce Bégout, Le ParK, Paris, Editions Allia, 2010, p.29.

[12] Rem Koolhaas, S,M,L,XL, New York, Monacelli Press, 1995.

[13] Françoise Fromonot, « Manières de classer l’urbanisme », in Criticat, n°8, sept. 2011, p.58.

[14] Id., p.55.

[15] Ibidem, p.58.

[16] Ibid., p.55.

[17] Ibid., p.58.

[18] Rem Koolhaas / OMA, Content, Cologne, Editions Taschen, 2004, p.421.

[19] Rem Koolhaas, « What Ever Happened to Urbanism », op. cit., p.82.

[20] Id., p.83.

[21] AUC, La Métropole du XXIe Siècle de l’Après-Kyoto, op. cit., p.7.

[22] New York Times, 21 mai 1891, p.10.

[23] AUC, La Métropole du XXIe Siècle de l’Après-Kyoto, op. cit., p.6.

[24] Id., p.7.

[25] Ibid., p.6.

[26] Ibid., pp.15-16.